Hommage de Claude Hoarau à Laurence : Comment ne pas te dire au moment où tu nous quittes tout ce que nous te devons

 Voici le discours prononcé par Claude Hoarau, avec mes intertitres.

C’est avec humilité, affection et reconnaissance, Laurence que je veux apporter ma contribution à l’hommage unanime que la Réunion te rend aujourd’hui.

 

La première fois que je t’ai vue 

 

La première fois que je t’ai vue, tu rendais visite à ma mère qui vivait ses dernières semaines, c’était Rue Sainte-Marie où nous vivions.

 

Tu étais accompagnée de deux fillettes de trois et six ans.

Elles sont là aujourd’hui autour de toi, et je leur exprime toute mon affection.

 

Tu as commencé cette année là plus d’un demi-siècle d’une existence consacrée au combat pour la Réunion et pour les Réunionnais.

 

L’organisation du Parti, la lutte des femmes réunionnaises, le développement de « Témoignages » étaient tes trois préoccupations quotidiennes.

 

Sur fond de lutte des planteurs et des colons, et de consolidation du mouvement ouvrier, le Parti a connu un élan exceptionnel qui a conduit à la victoire du 2 janvier 1956.

 

Je me souviens, nous étions ensemble à la permanence de nos candidats, chez notre regretté camarade Pierre Rossolin, Rue de Paris à Saint-Denis.

Deux députés sur trois ! La majorité dans 20 communes sur 24.

 

Ce qui me motivait c’est l’affection avec laquelle tu m’accueillais 

 

S’agissant de la lutte des femmes, tu avais pris ta place à la section de la Réunion de l’Union des Femmes Françaises créée quelques années auparavant.

Je vous voyais vous réunir régulièrement au 49, de la Rue Félix Guyon, chez Jean LeToullec.

 

Il y avait la autour de toi, Bernadette Léger, Isnelle Amelin, Augusta Le Toullec, Alice Pévérelly et bien d’autres.

Vous avez ensemble jeté les bases de ce qui devait devenir l’Union des Femmes de la Réunion.

 

Mais c’est à « Témoignages » que tu devais donner le plus de ton temps.

En quelques années, le journal fondé par le Dr Vergès a pris une dimension réellement à la mesure de l’influence grandissante du mouvement.

 

D’un petit quatre pages hebdomadaires, « Témoignages » est devenu un quotidien de 8 pages en l’espace de quelques années.

Tu as assumé avec rigueur la gestion de plus en plus lourde de notre journal.

 

Tu étais à la gestion des abonnements, à celle des ventes militantes, tu faisais les facturations, mais aussi tu écrivais et assurait la correction.

 

À la sortie de l’école, je passais régulièrement aider au pliage du journal ou à la mise sous bande, entre les camarades Baptisto et Moucazambo, je ne sais si j’étais vraiment utile, mais ce qui me motivait c’est l’affection avec laquelle tu m’accueillais.

 

Nous allions de victoire en victoire, et nos adversaires ne pouvaient l’accepter. Vint alors le règne de la fraude et de la répression.

 

« Au cœur de la tempête, tu fais face » 

 

Organisées par le pouvoir, elles visaient à nous effacer du paysage.

 

Les scandales électoraux se succèdent avec leur cortège de violences et de répression. Saint-André, Bras-Panon, Sainte-Marie, Saint-Leu, La Possession et plus tard Le Port et Saint-Paul sont arrachées par la fraude au camp progressiste.

 

Au cœur de la tempête, tu fais face.

 

Je garde en mémoire ce 15 mars 1959, où nous étions ensemble, angle des rues de Paris et Pasteur, à attendre l’arrivée de Paul Vergès qui venait d’être élu maire de Saint-Denis.

 

Il y avait là Taber, le couple Mithra, Simon Amourdom, Mina et des milliers d’autres camarades.

Nous savions que nous avions gagné.

 

Mais à Saint-Clothilde, Eliard Laude était assassiné, dans le fond de la Rivière, les résultats des bureaux étaient falsifiés tandis que l’urne de La Bretagne était bourrée à pleine gueule.

 

Et pour finir la soirée, le traquenard, les gendarmes qui proposent à Paul Vergès d’entrer seul à la mairie, qui le séparent de nous et quelques mètres plus loin s’acharnent sur lui.

 

L’un d’entre eux aurait dit « assommez-le, les créoles blancs ou noirs, c’est tous des nègres ».

 

Oui, tu as vécu tout cela Laurence, pour assurer ton rôle et apporter ta contribution au combat de notre Peuple.

 

Quelques mois après avait lieu le congrès constitutif du Parti Communiste Réunionnais, et juste à la fin de l’année précédente tu m’avais confié ton magnétoscope en me donnant pour mission de bâtir une chorale de jeunesse de l’enregistrer afin d’égayer, comme on le fait toujours, le congrès.

J’ai ressenti une profonde fierté de la confiance placée en moi, je n’avais que 17 ans, et je me suis acquitté de mon mieux de ma tâche.

 

Comment ne pas te dire au moment où tu nous quittes tout ce que nous te devons ? 

 

Mais là où tu as forcé l’admiration de tout un peuple, c’est lorsqu’il a fallu traverser cette longue période de la clandestinité.

 

28 mois d’angoisse, 28 mois de privation, 28 mois à trouver chaque jour la parade pour que les enfants – ils avaient 14, 11, 8 et 6 ans – n’aient pas trop à souffrir de l’absence du père, et des monceaux de mensonges que les « gens bien » déversaient sur lui.

 

Loin dans mon exil, j’ai souvent pensé à tes épreuves et au courage que tu montrais à les surmonter.

 

Qu’il me soit permis de dire ici combien ceux qui insultent ces enfants aujourd’hui à tout propos doivent mesurer que leur liberté de s’exprimer aujourd’hui, ils la doivent à notre combat.

À ton combat.

 

Comment, quand je repense à tout ce  « vécu » commun, ne pas te dire au moment où tu nous quittes tout ce que nous te devons ?

 

À toi, pour les décennies à venir la reconnaissance du rôle irremplaçable que tu as joué dans notre histoire. A toi, nos remerciements les plus affectueux pour l’exemple que tu nous as donné.

 

Adieu Laurence et Merci.

 

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