Hommage de Élie Hoarau, secrétaire général du PCR : Chère Laurence, très chère amie, notre camarade, tu n’es plus physiquement parmi nous, mais tu nous lègues la fraîcheur de tes indignations

Voici le discours prononcé par Elie Hoarau, Secrétaire général du Parti communiste réunionnais, avec mes intertitres

 

  Il est difficile d’évoquer ici Laurence Vergès.

Pas seulement en raison de l’émotion qui nous étreint tous et nous rassemble à ses côtés pour évoquer sa mémoire, mais aussi, et surtout parce que, jamais, à aucun moment de sa vie, Laurence n’a recherché honneurs, félicitations ou remerciements.

 

Voici une personne, une femme qui n’est pas née à La Réunion, et qui, tout au long de sa vie, n’a cessé d’agir pour faire changer les conditions d’existence de la très grande majorité des habitants de notre île.

 

Elle est désormais définitivement liée à sa terre d’adoption 

 

Par ses choix et son engagement, elle est reconnue par toutes les Réunionnaises et les Réunionnais comme l’une des leurs et elle est désormais définitivement liée à sa terre d’adoption.

 

Sa vie durant, ceux qui ne la connaissaient pas n’auront vu en elle que l’épouse de Paul Vergès, ou la mère de Claude, Françoise, Laurent et Pierre.

 

Celles et ceux, nombreux, ayant soit travaillé avec elle, soit bénéficié de ses attentions, de son soutien, de ses démarches, de ses initiatives en maints domaines, savent qu’elle s’était mise au service d’une île et de son peuple avec enthousiasme et détermination.

 

Une détermination sans cesse aiguillonnée par la vive indignation que suscitait en elle l’insupportable situation faite aux plus fragiles, à ceux dont la société officielle se désintéresse, ceux qui n’ont jamais droit à la parole, ceux que son beau-père, le Dr Raymond Vergès, appelait « les sans voix ».

 

Tous, depuis samedi, nous avons lu et entendu les réactions et les hommages rendus à Laurence Vergès.

 

À 21 ans au Ministère de la Reconstruction 

 

Tous nous savons désormais que Laurence est arrivée à La Réunion en 1954, tout juste âgée de 30 ans, avec leurs deux filles, Claude et Françoise, âgées de 4 et 2 ans.

 

Très rares sont ceux sachant que cette jeune femme avait déjà un riche passé politique.

À 20 ans, militante du Parti communiste français, elle avait participé à la libération de Paris.

 

À 21 ans, elle est au Ministère de la Reconstruction, à 23 ans, après l’éviction des ministres communistes du gouvernement, elle travaille auprès de Jean-Pierre Vernant, grand résistant et qui devint le grand helléniste que l’on connaît.

 

Elle travailla ensuite auprès de Laurent Casanova, responsable des Affaires culturelles au PCF.

 

C’est à cette époque qu’elle rencontre Paul Vergès qui était membre de la section coloniale du Parti communiste français, là où sont accueillis et se croisent tous les responsables des mouvements de décolonisation et de libération de la planète ; Paul Vergès, le compagnon de toute une vie, avec lequel, jusqu’à son dernier souffle, elle a partagé tous les combats.

 

Co-fondatrice de l’UFR   

Cette vie a été consacrée à La Réunion où elle a mené des luttes dans tous les domaines.

 

Quatre premières années passées à offrir des choix littéraires différents, car ouverts sur le monde en animant la Librairie des Mascareignes.

Cette préoccupation d’ouverture culturelle la plus large possible sera l’une des constantes de son action.

 

La famille s’agrandit avec la naissance de Laurent en 1955 et de Pierre en 1958.

 

En septembre 1958, Laurence participe à la transformation de la section réunionnaise de l’Union des femmes françaises en l’Union des femmes de La Réunion (U.F.R.).

Cette dénomination marquait ainsi, dès le départ, une volonté d’organiser la lutte en faveur de toutes les femmes vivant à La Réunion.

 

En 1958, toujours, Laurence intègre la Rédaction puis l’Administration de “Témoignages”.

Sa contribution hebdomadaire est consacrée, vous l’aurez deviné, à la condition féminine.

  

Une maison toujours ouverte aux sœurs et frères qui partageaient nos luttes 

 

Si nous insistons sur les années de naissances des enfants, c’est à dessein.

Laurence a été une mère très attentive.

 

Opposée à la pensée dominante de l’époque, elle rejetait le dogme selon lequel une bonne mère ne pouvait être qu’une mère au foyer.

 

Toute sa vie, Laurence s’occupera de ses enfants et de ses petits-enfants et, au milieu de ses multiples activités extrêmement prenantes, elle trouvera même le temps d’accueillir d’autres enfants que les siens ou ceux de sa descendance.

 

Ayant vécu durant des années près de la demeure familiale des Vergès à Saint-Denis, je peux témoigner à quel point leur maison était toujours ouverte aux sœurs et frères qui partageaient nos luttes.

 

Et que cette hospitalité fraternelle, cette disponibilité permanente pour les autres se faisaient au détriment de l’intimité d’une vie privée, sans jamais que Laurence ne s’en plaigne… Pleinement engagée, elle en savait tout le prix.

 

Sa lutte en faveur de l’émancipation des femmes était d’une incontestable authenticité : quand elle parlait de la double journée de la femme, Laurence savait de quoi il retournait.

 

Parler sans détour, mais ne jamais blesser 

 

Et lorsque, prenant la parole, elle débattait, elle le faisait exactement comme elle a toujours agi, sans détour avec toute la détermination de sa conviction : « brut de décoffrage », comme l’a si bien dit Pierre.

 

Mais toujours elle prenait soin de ne pas blesser et ne se laissait jamais démonter par les rebuffades qu’elle pouvait parfois essuyer.

 

Du fait du climat politique sévissant alors, sa tâche de mère n’avait rien d’un long fleuve tranquille.

 

Paul Vergès et ses compagnons de lutte et tous ceux se réclamant du mouvement communiste étaient diabolisés, quotidiennement insultés, diffamés, suspectés des intentions les plus viles.

 

Ce climat d’ostracisme conduisait les parents des petits camarades de classe à interdire à leurs enfants de fréquenter les enfants Vergès.

 

Durant toute la scolarité de ses enfants, plus d’une fois Laurence s’est trouvée dans l’obligation d’aller soit au lycée, au collège ou à l’école pour tenter de préserver ses enfants de mises en cause n’ayant rien à voir avec leur scolarité.

 

C’était l’époque où, au vice-rectorat, le nom des enfants de militants communistes était cerclé de rouge.

 

Tout comme Laurence, nombre de parents communistes se sont entendus dire à l’époque que leurs enfants n’étaient pas aptes aux études. Parfois leur échec aux examens était décidé de longue date.

 

Malgré tout cela, Laurence n’a jamais baissé les bras, communiquant ainsi à ses enfants cette énergie lui permettant de faire face aux actes indignes dont ils étaient les cibles.

 

Une femme courage 

 

Qui, parmi les jeunes générations, peut imaginer le courage, l’énergie et la santé qu’il fallait avoir pour partir, comme Laurence, au volant d’une petite voiture sur les routes de l’époque pour aller faire des reportages, des portraits de femmes, coupeuses de cannes, femmes-planteurs, ouvrières, femmes-courage, ou bien encore aller parler de contraception, de droits sociaux, d’égalité sociale à des femmes des quartiers éloignés de tout ?

 

De la mi-mars 1964 à la fin juillet 1966, la vie de Laurence a été rendue encore plus difficile. Paul Vergès, ayant été condamné à de la prison ferme pour de prétendus « délits de presse », décidait d’entrer en clandestinité dans son île, au sein de son peuple qui le protégera deux années et demie durant.

 

Ces délits de presse étaient imaginaires, il s’agissait en fait pour le pouvoir de réprimer la liberté d’opinion.

 

Le 17 octobre dernier, le Président de la République a officiellement reconnu « la répression sanglante » commise à Paris le 17 octobre 1961 contre des manifestants algériens désarmés.

 

C’est pour avoir relaté ce massacre, pour avoir mis “Témoignages” au service de la vérité, que Paul Vergès avait été condamné à de la prison ferme.

 

À plusieurs reprises, Laurence avait vu son mari être menacé dans sa vie même 

 

Durant cette longue période de clandestinité, c’est Laurence qui, en plus des nombreuses tâches et responsabilités qu’elle assumait habituellement, devra faire face aux tracasseries policières, élaborer maints stratagèmes afin de permettre à ses enfants de rencontrer leur père.

 

Rien ne lui sera alors épargné, lettres anonymes, menaces, etc.

 

Mais, dans cette nouvelle épreuve, elle apprendra pourtant que des personnes n’ayant aucun lien avec le mouvement communiste étaient prêtes à aider Paul Vergès tant elles étaient indignées des procédés mis en œuvre.

Ainsi, un chirurgien-dentiste gaulliste acceptera de soigner Paul Vergès alors recherché par toutes les polices.

 

Un animateur radio de l’ORTF à La Réunion, voisin immédiat, refusera, en dépit des pressions exercées, d’espionner la maison où vivaient alors Laurence et ses enfants.

 

Cette clandestinité durera 28 mois, jusqu’au vote d’une loi d’amnistie en juillet 1966 anéantissant la peine d’emprisonnement pour délit de presse.

 

Personne ne peut croire que les enfants n’en souffrirent pas au moins autant que leur mère 

 

Personne ne peut croire que tout cela fut facile et que les enfants n’en souffrirent pas au moins autant que leur mère.

 

D’autant que, depuis l’agression perpétrée le 15 mars 1959 lors des élections municipales de Saint-Denis à l’issue de laquelle Paul fut assommé par les forces de répression et laissé pour mort sur un trottoir face à la mairie de Saint-Denis, à plusieurs reprises, Laurence avait vu son mari être menacé dans sa vie même.

 

Les attentats perpétrés en 1974, le complot dont Sir Seewoosagur Ramgoolam, alors Premier ministre de l’île Maurice, avait informé Paul Vergès, étaient des réalités angoissantes.

 

Comme toujours, Laurence sut faire front aux côtés de Paul.

Il existait alors à La Réunion des groupuscules proclamant publiquement et impunément leur volonté d’attenter aux jours de Paul Vergès.

 

On comprend que, dans de telles conditions, chaque moment de tension, chaque campagne électorale, chaque déplacement présentait un risque.

 

Être utile était sa constante préoccupation 

 

Laurence savait en outre que, pour redonner courage aux participants de ses meetings lorsqu’ils étaient menacés, Paul s’interposait toujours entre ses sympathisants et les agresseurs.

 

Durant des heures entières jusque tard dans la nuit, il fallait donc vivre dans l’anxiété, car à cette époque, le GSM n’existait pas, et même les téléphones fixes étaient rares.

 

Ce n’est qu’au retour de Paul que la maisonnée pouvait se rassurer.

 

Au mois de février dernier, écrivant à un ami, Laurence disait son admiration pour son compagnon « qui, toujours, s’est dévoué sans compter pour son île ».

 

Même lorsque le prix à payer ou les circonstances de la vie se sont avérés effroyables, Laurence n’a jamais élevé de plainte.

Elle a fait face aux drames frappant cruellement la famille avec beaucoup de courage.

 

Ce fut le cas lors du décès tragique de sa belle-fille Yasmine.

Ce fut aussi le cas avec la disparition terrible de Laurent.

 

Malgré sa peine immense, elle continua d’assurer ses tâches, répondant personnellement aux innombrables témoignages de sympathie.

Comme toujours, elle a choisi d’aller de l’avant.

 

Être utile était sa constante préoccupation, comme une devise.

 

Profondément éprise de culture 

 

Cofondatrice de la “Commission Culture Témoignages”, Laurence y fédéra les bénévoles profondément épris de culture, comme elle l’était elle-même.

 

Et, un an plus tard, en octobre 1989, débuta un cycle inédit de conférences passionnantes s’adressant le soir au grand public et la journée aux lycéens et lycéennes que les conférenciers allaient rencontrer dans les lycées.

 

Ce cycle fut inauguré par Maryse Condé, à laquelle succédèrent notamment Jorge Amado et Zélia Gattaï, Albert Jacquard, René Dumont, Yves Coppens, Luis Sala-Molins, Jacques Vergès et Thierry Jean-Pierre, René Depestre, Rachid Mimouni, André Brink, Jean Ziegler, Sylvie Brunel.

 

Laurence Vergès, c’était une énergie paraissant inépuisable, un souffle vital irrésistible. Je me souviens l’avoir entendu consoler des amis effondrés par la disparition de Laurent.

 

Dans les pires moments de sa vie, elle était égale à elle-même, tout entière préoccupée des autres.

 

Ce souci des autres n’était pas limité à son île 

 

Ce souci des autres n’était pas limité à son île.

 

Dès son arrivée à La Réunion, Laurence s’est investie, aux côtés du Dr Raymond Vergès, d’Isnelle Amelin, Marinette Tardivel, Sylvia Laugier, Bernadette Léger, Marie Gamel et Paul Vergès, dans les actions conduites à l’initiative du Comité de Solidarité de Madagascar créé en mai 1950 par Gisèle Rabesahala afin d’assurer la défense des 5.000 détenus malgaches emprisonnés depuis la révolte du 29 mars 1947.

 

Laurence retrouvait ainsi Gisèle Rabasahala dont elle avait fait la connaissance à Paris et avec laquelle elle noua des liens d’amitié pour la vie.

 

Et pourtant, ainsi que nous le disions en commençant cet hommage, même lorsque Laurence a été désignée pour représenter le PCR dans des batailles électorales, même si elle ne ménageait pas sa peine lors des kilomètres parcourus en porte à porte, même si, comme à son habitude, elle en profitait pour rendre service aux personnes visitées, même si de nombreuses personnes lui témoignaient leur sympathie, Laurence ne s’est jamais installée sur le devant de la scène.

 

Volontaire pour les tâches les plus dures, mais réfractaire à la notoriété 

 

Volontaire pour les tâches les plus dures, mais réfractaire à la notoriété ainsi qu’aux honneurs. On l’a vue même refuser une décoration que le pouvoir lui proposait.

 

S’il fallait évoquer tous les aspects de toutes les luttes dans lesquelles Laurence s’est investie sans jamais s’économiser, il faudrait beaucoup de temps encore.

 

Nombreux sont celles et ceux qui, parlant de Laurence, disent qu’elle fut une grande dame.

Grande par ses actions, par son constant souci des autres, nous l’avons vu, mais sa grandeur réside aussi dans la modestie dont elle a toujours fait preuve.

 

Aujourd’hui, c’est la dépouille mortelle de Laurence, cette grande dame réunionnaise, que nous accompagnons ici.

 

Cette femme, Laurence Vergès, notre camarade, notre amie, ton épouse cher Paul, votre mère Claude, Françoise et Pierre, votre grand-mère et arrière grand-mère, et ta belle-sœur mon cher Jacques, cette femme hors du commun a marqué La Réunion durant près de 60 ans.

 

Laurence s’inscrit dans l’histoire même de la constitution de notre peuple 

 

Laurence s’inscrit dans l’histoire même de la constitution de notre peuple ; des femmes et des hommes venus de France et d’Europe, de Madagascar, des Comores, d’Afrique, de l’Inde, de Chine et de l’Asie, et qui ont fait de La Réunion leur pays, et des Réunionnaises et des Réunionnais leur peuple, qui se sont battus pour eux ; ce sont ces hommes et ces femmes-là qui ont fait La Réunion, et Laurence est une d’entre elles.

 

Et nous sommes certains que l’impulsion qu’elle n’a cessé de donner à toutes les luttes auxquelles elle a participé continuera de produire de puissants effets bien après qu’elle nous a physiquement quittés.

 

Chère Laurence, très chère amie, notre camarade, tu n’es plus physiquement parmi nous, mais tu nous lègues, outre ta bonne humeur, ta profonde capacité d’écoute et d’empathie, la fraîcheur de tes indignations qui nous permettra, tout comme toi, de n’être jamais résignés.

 

Cet avenir meilleur, cet idéal pour lequel tu n’as cessé de lutter, ce somin galizé auquel tu as contribué, c’est à nous tous qu’il revient de le continuer désormais.

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