TRIBUNE LIBRE – Réforme territoriale : quelle solution réunionnaise ?

image Le gouvernement a décidé d’accélérer le calendrier de la réforme territoriale.

L’objectif poursuivi est, d’une part, de réduire le nombre de régions en France continentale, d’autre part, de « dévitaliser » les départements, pour reprendre une expression du Secrétaire d’Etat à la réforme territoriale, André Vallini, à défaut de les supprimer, car cela exigerait une révision constitutionnelle, et, dans le même temps, de renforcer le rôle des intercommunalités qui reprendraient de nombreuses responsabilités exercées par la collectivité départementale.

Pourtant l’institution départementale, échelon administratif intermédiaire, joue un rôle de proximité, notamment auprès des publics fragiles. C’est essentiel dans cette période marquée par l’inquiétude provoquée par la crise économique et sociale qui perdure.

Dans ce contexte, les élus, toutes tendances confondues, devraient anticiper sur le calendrier afin de proposer au Gouvernement une solution particulière adaptée à notre île.

La justification d’une telle proposition tient dans deux constats :

1°- Les mesures applicables au plan hexagonal ont souvent nécessité outremer des adaptations législatives ou réglementaires, notamment du fait de nos retards de développement, et de notre environnement géographique ;

2°- La reconnaissance par les instances européennes de notre statut d’ultrapériphéricité (article 349 du Traité de Lisbonne) a conduit à l’application de mesures spécifiques pour tenir compte de nos handicaps permanents, et de la nécessaire promotion de nos atouts : éloignement, insularité, faible superficie, relief et climat difficiles, dépendance économique vis-à-vis d’un petit nombre de produits, facteurs dont la permanence et la combinaison nuisent gravement à notre développement, dans un environnement géographique particulier.

Dans un climat de compétition internationale vive, doublé d’une situation budgétaire difficile au plan national, il est bien sûr impératif de mobiliser l’ensemble des institutions locales aux fins de participer à l’effort de redressement.

Encore faut-il que cela n’affecte pas le principe d’égalité territoriale au sein de la République. Et que sous couvert de rationalisation des politiques publiques, le résultat ne soit pas la consécration d’une inégalité territoriale plus grande et la remise en cause des services publics.

Or notre situation insulaire est marquée par un chômage persistant et l’éligibilité d’un grand nombre de nos concitoyens aux minimas sociaux, malgré de nombreuses initiatives économiques.

En préambule au débat, j’insisterai sur la nécessité de prendre en considération deux facteurs pesant sur les perspectives financières réunionnaises : d’une part la non-compensation par l’Etat à l’euro près des charges transférées, dans de multiples domaines, et d’autre part la marge de manœuvre plus qu’étroite au plan fiscal compte tenu du nombre de ménages assujettis, déjà fortement pressurisés.

Certains plaident pour la fusion de nos collectivités départementale et régionale en une collectivité unique. Leurs arguments rejoignent ceux du Gouvernement sur deux points principaux : une économie budgétaire et une cohérence des politiques publiques.

En ce qui concerne le premier point, je prendrai l’exemple de la fusion des régions Haute-Normandie et Basse-Normandie, regroupant une population de plus de 3,3 millions d’habitants. Selon une étude menée, les économies se chiffrent tout au plus à 2,7 millions d’euros par an. Même pas un euro par habitant (81 centimes !).

Si on appliquait une telle démarche pour nos deux collectivités, quelles économies pourrait-on retirer de la fusion Département-Région ?

Aucune en ce qui concerne les dépenses obligatoires comme le remboursement de la dette, et surtout celles concernant les dépenses sociales protégeant les publics fragiles. A moins d’envisager de changer les règles pour être plus « chiches » envers ces publics, et faire des économies de « bouts de chandelles » en remettant en cause les initiatives complémentaires et facultatives du Département pour renforcer la politique sociale. Dans ce cas, il faut le dire !

Va-t-on réduire le personnel, dont une grande partie est d’ailleurs affectée aux collèges et lycées ? Alors, il faudra avouer vouloir appliquer la règle proposée par le gouvernement Sarkozy-Fillon, tant décriée, du non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux partant à la retraite.

Va-t-on réduire les dépenses facultatives affectées aux actions du Département dans le domaine agricole, ou du transport, ou de la voirie, ou encore du service d’incendie et de secours ?

En ce qui concerne le deuxième point, celui de la cohérence des politiques publiques, permettez-moi de vous faire part de mes inquiétudes.

Actuellement, le Département joue le rôle de « bouclier social » malgré la non-compensation par les gouvernements (de droite comme de gauche) des transferts de charges en matière sociale. Bien que confrontée à ces difficultés, la collectivité départementale ne tourne le dos ni à l’exigence d’insertion économique dans les initiatives d’ordre social, ni à la nécessaire intervention économique, par exemple dans les domaines de l’agriculture, des transports, de l’éducation et de la culture, ou de la coopération régionale.

Il faut se rappeler qu’une convention d’harmonisation des compétences entre le Département et la Région, pour éviter les conflits ou chevauchements de compétences, a permis une clarification des interventions de ces institutions dans des domaines précis : agriculture, tourisme, pour ne citer que ces éléments.

Il n’y a pas eu besoin de texte législatif imposé, il a suffi d’un peu de responsabilité et de bon sens pour y parvenir.

Que se passerait-il si une collectivité unique, en proie aux défis économiques que nous connaissons, devait par ailleurs faire face à une demande croissante d’intervention sociale ?

J’imagine possible une inflexion de la politique d’investissement à dimension économique au profit de dépenses supplémentaires afin d’alléger la souffrance sociale certes, mais en plombant les efforts pour maintenir, à défaut de la relancer, l’activité économique, donc l’emploi.

Le contraire, réduire les interventions existantes aujourd’hui en matière sociale, serait tout aussi dommageable.

Dans nos propositions de réforme territoriale, nous pourrions nous orienter vers une solution originale, caractérisée en matière constitutionnelle par la formule du « bicamérisme ».

Le bicamérisme (ou bicaméralisme) est un système d’organisation politique nationale qui divise le Parlement en deux chambres distinctes, une chambre haute et une chambre basse.

Ce système a pour but de modérer l’action de la Chambre basse, composée par exemple de députés élus au suffrage universel direct et représentant donc directement le peuple, en soumettant toutes ses décisions à l’examen de la Chambre haute, composée par exemple de sénateurs élus généralement au suffrage indirect et représentant souvent des départements, des régions ou des états.

En fait, il faut que la préoccupation sociale du Département intègre la dimension économique, et que la politique économique de la Région tienne compte du marqueur social.

A cet effet, la procédure qui pourrait être appliquée serait la suivante : les décisions relevant de la compétence d’une des collectivités seraient préalablement soumises pour avis, à la Région pour intégrer la dimension économique, au Département pour intégrer la dimension sociale. La sollicitation pour avis n’entacherait en rien la règle constitutionnelle de la libre administration des collectivités et de la non tutelle des collectivités.

La compétence d’intervention pour avis du Ceser (Conseil économique, social et environnemental de La Réunion) pourrait être étendue à la collectivité départementale.

Cela aurait le mérite de nous obliger à nous entendre sur l’essentiel : intégrer la dimension territoriale réunionnaise pour affronter les défis économiques, et la dimension locale et de proximité pour tenir compte de la nécessaire solidarité au plan social.

Rien ne nous empêche alors d’envisager la mise en place d’une conférence territoriale annuelle Région-Département, dont la finalité serait la parution d’un rapport rendu public sur l’efficacité des politiques publiques et les propositions d’harmonisation de celles-ci par les deux collectivités.

En tout état de cause, la balle est dans le camp des élus de notre île. Nous devons associer à ce débat les forces vives, dans les domaines économique, social, environnemental et culturel. Parce qu’au-delà des propositions d’évolution institutionnelle ou administrative, ce sont des mesures concrètes pour relancer l’économie et stimuler l’emploi qu’il s’agit de revendiquer.

En un mot, c’est d’un projet de nouvelle société, redéfinissant la devise républicaine « Liberté – Egalité – Fraternité », dont nous avons besoin.

D’ores et déjà, je formule le vœu que la présidente du Département de la Réunion porte la voix réunionnaise lors de la réunion de l’Assemblée des Départements de France (ADF) le 25 juin, afin d’obtenir une démonstration de solidarité des départements de France à l’égard de notre île, à l’aube de ce « big bang » territorial initié par le gouvernement.

La Réunion est en souffrance, mais n’est-ce pas en premier lieu un profond malaise social ? Car dans le même temps, La Réunion dispose d’atouts indéniables.

Mais il est une exigence posée par le nom de notre île, La Réunion : que nous entretenions nos convergences tout en respectant nos divergences. Pour ce faire, il faut débattre entre nous tous, citoyens, sans invectives et jugements définitifs.

Pierre Vergès
Conseiller général

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