Addictions : la précarité nuit gravement à la santé

 

« L’action des stupéfiants est à ce point appréciée, et reconnue comme un tel bienfait dans la lutte pour assurer le bonheur ou éloigner la misère, que des individus […] leur ont réservé une place permanente dans l’économie de leur libido. […]

 

On sait bien que, à l’aide du « briseur de soucis », l’on peut à chaque instant se soustraire au fardeau de la réalité et se réfugier dans un monde à soi qui réserve de meilleures conditions à la sensibilité.

 

Mais on sait aussi que cette propriété des stupéfiants en constitue précisément le danger et la nocivité », estimait Sigmund Freud, dans Malaise dans la civilisation. C’était en 1929.


Aujourd’hui, l’OFDT (Observatoire français des drogues et des toxicomanies) recense, chez les 12-75 ans, 9,7 millions de consommateurs réguliers d’alcool, 3,8 de médicaments psychotropes ou encore 1,2 de cannabis.

 

Quant au tabac, on compte 11,8 millions de fumeurs quotidiens.

 

Les produits psychoactifs sont ainsi largement répandus dans la société française.

Et si tous les usages ne sont pas problématiques ni ne conduisent à une dépendance, des facteurs semblent néanmoins faciliter un certain type de consommations.


TENDANCES ET USAGES


À partir du Baromètre santé 2005, des chercheurs de l’Inserm (Institut national de la santé et de la recherche médicale),

de l’Inpes (Institut national de prévention et d’éducation pour la santé)

et de l’OFDT ont dégagé des données sociologiques quant aux usages de tabac, alcool, cannabis et autres drogues.

 

L’usage hebdomadaire d’alcool se révèle ainsi bien plus élevé chez les ménages les mieux lotis financièrement, chez les plus diplômés et chez les actifs occupés par rapport aux chômeurs.

 

Mais si on s’intéresse à l’usage quotidien, les différences s’estompent, tandis que le facteur « le plus associé à une dépendance ou à un usage à risque chronique d’alcool est le chômage ».


Des tendances également repérées avec les autres drogues.

 

Autrement dit, pour l’ensemble des comportements d’usage,

« un capital socio-économique et éducatif élevé apparaît associé à l’expérimentation des produits mais pas à un usage régulier.

À l’inverse, le fait d’être au chômage est davantage corrélé avec les usages réguliers qu’avec les expérimentations« .

 

Les consommations régulières, voire problématiques, sont ainsi « plus fréquentes parmi les plus précaires et les moins diplômés ».

Y compris par le prisme du genre, le milieu social a une importance.


En moyenne, les femmes consomment davantage de psychotropes que les hommes mais moins d’alcool et de drogues illicites.

Cependant, en matière d’alcoolisation, la différence est moins marquée dans les milieux favorisés que populaires.  

 

En gros, plus les femmes sont cadres, plus elles consomment.

En outre, plus elles sont jeunes, plus leur comportement rejoint celui des hommes.

 

Toutefois, précise François Beck, responsable du département Observation et analyse des comportements de santé, à l’Inpes, « chez les jeunes aussi, quand la situation sociale se dégrade, l’écart fille-garçon augmente ».

 

Les jeunes qui consomment beaucoup appartiennent à deux catégories.

 

D’un côté, il y a ceux dont les situations sont les plus défavorables (niveau socio économique très bas, parents absents, déscolarisation…).

 

De l’autre, les adolescents des milieux favorisés.

« Ces derniers sont capables de s’alcooliser fortement, d’expérimenter des produits de façon assez dure, mais eux vont avoir un soutien social, qu’ils perçoivent, et qui leur permettra en général de ne pas basculer », observe François Beck.

Dans leur discours transparaît l’idée « d’éviter de perdre le contrôle du produit et de sombrer dans la dépendance ».

 

D’une recherche menée auprès de jeunes précaires, d’autres caractéristiques se dégagent. « 

Les sujets mettent en relation le malaise psychologique (angoisse, ennui, déprime),

les conditions d’existence et les privations du quotidien (de toit, de repas, de « besoins primaires »),

le manque de perspectives d’intégration sociale (absence de travail),

la dégradation des liens familiaux,

l’autodestruction, la maladie, la marginalité, et le recours aux drogues », explique la revue Psychotropes (vol. 9, n°2, 2003).


PRÉCARITÉ ET ADDICTIONS


Enfin, le Samu social et l’Institut national de la santé et de la recherche médicale ont relevé, parmi les sans-abri d’Île-de-France, que 29% étaient dans des addictions.

 

Ainsi, pointe l’étude, « une personne sur cinq est dépendante à l’alcool, 16% consomment régulièrement du cannabis et 2,4% de la cocaïne ».

 

En outre, un jeune sur cinq de 18 à 25 ans est déjà dépendant à l’alcool et un quart consomme régulièrement du cannabis.

Misère et addictions semblent ainsi, à première vue, entretenir des liens privilégiés.


« Les situations de précarité conduisent à des usages de tabac, alcool et drogues illicites plus importants et ces produits servent souvent à gérer des situations de fragilité sociale », résume François Beck.

 

Mais d’ajouter :

« D’autres circonstances conduisent à des usages. On n’en est pas protégé quand on est plus favorisé, mais on y est plus exposé quand on connaît la précarité. »

 

Comme le souligne l’étude du Baromètre santé,

« la précarité professionnelle apparaît comme un facteur de vulnérabilité vis-à-vis des usages à risque sans doute parce qu’elle peut entraîner une détresse psychologique favorisant ces usages et une moindre prise de conscience du risque ». Loin des stéréotypes.


Plus largement, entre précarité, vulnérabilité, addictions…, la prudence s’impose pour éviter les amalgames hâtifs.

En particulier, l’équation « précarité socio-économique égale fragilité » est à bannir.

 

Ce que défend Jean- Yves Dartiguenave, maître de conférences à l’université de Rennes 2 : 

 

« La précarité renvoie à une instabilité.

Elle ne désigne pas une catégorie de population et est à distinguer de la vulnérabilité.

Celle-ci peut être d’ordre psychologique, être liée à une difficulté structurelle à assumer son existence voire à des problèmes biographiques.

Tous les précaires ne tombent pas dans une fragilité les conduisant à des conduites addictives. » 

 

Et le codirecteur du laboratoire d’anthropologie et sociologie d’insister :

« On trouve des situations de concomitance entre désocialisation et conduites addictives, bien entendu ; mais de relation stricte de cause à effet, non. »


Une enquête publiée dans Économie et Statistique (n°391, 2006) sur l’alcoolisation des sans domicile fixe souligne ainsi que,

« à la grande diversité des situations sociales rencontrées, correspond une grande variété de comportements à l’égard de l’alcool ».

 

Et ce dernier « n’est pas toujours aussi présent dans les parcours des personnes sans domicile que dans l’imaginaire collectif » même s’il est vrai que « les usages les plus importants s’avèrent liés aux situations de précarité les plus marquées ».


Ainsi, remarque François Beck, « l’alcool ne fait absolument pas partie de la vie des travailleurs précaires en hôtel ».  

Enfin, il est souvent difficile de démêler le sens de la causalité.

 

Car les situations de fragilité peuvent favoriser le recours aux produits psychoactifs, à l’inverse, les addictions, avec les pertes qu’elles peuvent entraîner – travail, liens familiaux, santé, logement, voire liberté… – facilitent aussi la dégringolade sociale.

 

Et lorsque le milieu ne protège pas assez, ou plus du tout, remonter la pente se révèle encore plus complexe.

 

Aussi, et devant le constat connu que plus les gens vont mal, moins ils demandent de l’aide, s’impose la nécessité d’instaurer des dispositifs pour aller à leur devant ou de mener, comme au Secours populaire, des actions visant à rompre l’isolement et à faciliter l’accès aux soins ou à la prévention.


TROIS COMPORTEMENTS


Depuis une dizaine d’années, le concept d’addictologie s’impose en France.

 

Il s’agit de dépasser l’approche par produit : tabac, alcool, cannabis, héroïne, cocaïne… pour se centrer sur les pratiques de consommation et les conduites addictives.

 

Les dispositifs « alcool » (centre de cure ambulatoire en alcoologie) et « toxicomanie » (centre spécialisé de soins aux toxicomanes) se transforment en centres de soins, d’accompagnement et de prévention en addictologie (Csapa).


Les comportements sont schématiquement divisés en trois :

 

– Le premier, l’usage, correspond à une prise occasionnelle ou régulière, sans complication.

– Le deuxième, l’abus, définit une utilisation nocive pour la santé, susceptible d’induire des dommages physiques, psychiques ou sociaux.

– Le troisième, la dépendance, répond à plusieurs critères. En particulier, le désir compulsif de produit, la difficulté à contrôler la consommation, le syndrome de sevrage en cas de diminution ou d’arrêt, le besoin d’augmenter les doses pour atteindre le même effet.

 

Source : Secours Populaire Français

                                                                                                                                                                                                                                                                                                             

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3 Commentaires sur

Addictions : la précarité nuit gravement à la santé

  • EricNo Gravatar |

    il y a eu des associations « tchao la rak » par exemple, ou d’autres qui aidaient ceux qui avaient des problèmes avec l’alcool ou la drogue; elles ont fermé, on a rendu resposnables les collectivités locales; peut être (comme pour l’ARAST), leur tord est de n’avoir pas exercé un contrôle strict (quoiqu’il y a des experts comptables pour ça), mais c’est surtout la politique de l’Etat envers le monde associatif qui est à dénoncer

  • SophieNo Gravatar |

    Que dire de cette nouvelle « mode » des jeunes qui consiste à boire le plus d’alcool possible en un temps record jusqu’à atteindre le coma éthylique ? J’ai vu un documentaire où des jeunes à peine majeurs (l’étaient-ils pour certains ?), dont des filles, cherchaient désespérément un troquet ouvert à minuit pour acheter une bouteille de whisky, alors qu’ils étaient déjà bien alcoolisés. C’est vrai que chacun doit faire son expérience, mais cela pose question. Et les associations font un travail remarquable, mais Eric a raison, elles ferment les unes après les autres faute de moyens.

  • GéraldineNo Gravatar |

    A Sophie:
    Ceci n’excuse en rien cela, mais il est vrai que de plus en plus de jeunes ne savent pas réellement ce qui les attend, ne sont pas sûrs d’eux et ressentent un certain mal-être, ne savent pas vers qui se tourner, ignorent ce que l’avenir leur réserve, ne savent pas forcément comment trouver un échappatoire dans ce monde qui part à la dérive davantage chaque jour.
    Je pense que pour beaucoup, il s’agit donc de se saouler, de se croire fort, invincible, de se retrouver dans un monde en quelque sorte parallèle et fuir la triste réalité qui les entoure.
    Comme je disais, ceci n’excuse en rien cela, car il faut de la combativité, etc. C’est là que les associations jouent un grand rôle, quand elles ne ferment pas…

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