Éruption au volcan : liberté individuelle et responsabilité collective

image   IMG_1595 Pour le plaisir des yeux, car c’est un spectacle dont on ne peut se lasser, admirez la vidéo réalisée par le photographe Luc Perrot. Pour découvrir la vidéo complète et profiter d’autres images et vidéos passionnantes, aller sur le site de Luc Perrot : http://www.lucperrot.fr/?news puis aller sur la page “Photos et vidéo de l’éruption de mai 2015” : « Au plus près de l’éruption ». Vous ne regretterez pas le voyage.

A propos de cet évènement exceptionnel, j’entendais ce matin sur une radio un reportage relatant la pagaille le long de la route du Volcan, les automobilistes stationnant n’importe où, n’importe comment. Du coup, les usagers rentrant chez eux devaient supporter pendant deux heures un trajet où l’impératif était d’éviter que son véhicule n’endommage les rétroviseurs des voitures stationnées à droite et à gauche sur une chaussée alors rétrécie.

Un manque de civisme

Il faut par ailleurs regretter le manque de civisme de certaines personnes qui estiment que jeter des déchets, périssables (attirant les animaux nuisibles) ou non (prenant des années voire plus pour disparaître), est un geste sans conséquence.

Le problème du civisme est posé aujourd’hui avec plus d’acuité qu’hier. La population était moins importante hier. Je me souviens que dans les années 70, nous avions, avec des amis déjà adultes, passé la nuit à 10 mètres du cratère. Ni héroïsme ni inconscience, La Fournaise est un volcan de type hawaïen, effusif et non pas explosif comme le sont l’Etna ou le Krakatoa, par exemple.

Ne croyez pas qu’il soit possible d’approcher un tel phénomène extraordinaire autant que nous pouvions le faire dans le passé.

La stratégie du « parapluie ouvert »

Les préfets appliquent, année après année, des règles toujours plus draconiennes : interdiction de descendre dans l’enclos, interdiction de s’approcher, etc.

Tout ça suite à un accident : à près d’un kilomètre du cratère de 1977, un groupe de jeunes avait quitté le sentier balisé par l’ONF, pourtant matérialisé par de grosses “taches” de peinture blanche sur la lave noire. Leur objectif était de s’approcher de la rivière de lave coulant vers la mer. Bien sûr, ils devaient ignorer que la lave change de « lit » au moindre obstacle et que, sous le « lit » de la journée précédente, sous la croûte de lave noircie, des bulles de gaz génèrent des cavités, parfois très profondes. La croûte a cédé sous les pas de l’un des jeunes. Il est tombé dans la faille et, en dépit des efforts de ses camarades, n’a pu être remonté. La température, dans la cavité où ce jeune était coincé, dépassait les 45°. A l’époque, l’hélicoptère de la gendarmerie ne pouvait voler de nuit. Quant aux téléphones cellulaires, ils n’étaient même pas imaginés. Aussi, à l’arrivée des secours, près de 3 heures plus tard, le jeune, totalement déshydraté n’avait pu survivre.

Alors, l’un après l’autre, les préfets ont multiplié les obstacles lors de chaque éruption. En effet, le problème de la responsabilité de l’Etat a été soulevé par des proches des victimes, il faut le reconnaître, ayant agi avec beaucoup d’imprudence.

Tout le monde subit l’irresponsabilité de quelques-uns

C’est exactement comme si on interdisait toute baignade en mer parce que des imprudents bravent les interdictions de baignades en des lieux bien précis et sont victimes d’un requin, ou alors d’une noyade. Ces accidents sont effroyables pour les familles des victimes, mais, que je sache, on n’interdit pas la circulation automobile qui génère bien plus de décès et d’invalidités, non plus que tous les les sports à risques, les ascensions ou les plongées, et j’en passe.

C’est vraiment dommage, car il n’y a pas de spectacle plus beau et plus instructif en ce qu’il nous appelle à l’humilité ainsi qu’au devoir de responsabilité individuelle dans l’évaluation des risques encourus. Et, à mon avis, les pouvoirs publics, par ces interdictions sans fin, déresponsabilisent toujours plus — dans les faits — les citoyens.

Pourtant, il me vient à l’esprit qu’à la différence de l’exemple de la mer, évoqué ci-avant, nous devons nous saisir du spectacle qu’est une éruption volcanique pour réfléchir à la conciliation entre liberté individuelle et responsabilité collective.

Concilier autorisations et… prescriptions

Lorsque j’étais président de l’Île de La Réunion Tourisme (IRT), j’ai eu l’occasion d’échanger avec des collègues sur une démarche qui à mon avis mériterait réflexion.

S’il y a bien un territoire qui mériterait d’être mis en exergue dans la stratégie de communication touristique réunionnaise, c’est bien celui allant du 27ème km à la Plaine des Cafres jusqu’au Pas de Bellecombe. Cela avait d’ailleurs été fait en 2009 dans la publicité qui passait sur les chaînes de télévisions nationales.

En fait, il s’agit de concilier la possibilité de profiter de cette espace intégré au Parc national de La Réunion et l’exigence de la préservation d’un espace exceptionnel.

Dans cette perspective, je me plaisais à rêver d’une nouvelle approche de l’utilisation de la route du Volcan à partir de la zone non habitée.

Premier constat : la chaussée, refaite avec application, il faut le reconnaître, doit être préservée d’une utilisation trop fréquente et importante.

Le deuxième constat est celui d’une utilisation maximale des rares kiosques, les gens venant souvent la veille pour pouvoir en disposer.

Le pique-nique, une tradition bien ancrée à La Réunion

Troisième constat : dès que l’ONF et ses partenaires mettent à disposition un nouvel espace de pique-nique, celui-ci est tout de suite « pris d’assaut », le week-end notamment. Cela montre une soif du Réunionnais de profiter d’un espace naturel, en famille et (ou) avec des amis. C’est une tradition qu’il convient de préserver, d’encourager, justifiant par ailleurs des démarches visant à encadrer une telle pratique.

Le milieu naturel géré par l’ONF, véritable poumon vert de l’île, est un espace où la population réunionnaise, de plus en plus citadine, aime à se retrouver pour le loisir et la détente. C’est également un lieu à fort enjeu pour le tourisme. L’accueil dans le milieu naturel doit donc à la fois satisfaire les attentes d’un public varié et favoriser le développement d’activités.

Comme le souligne l’ONF, organiser l’accueil du public dans des espaces naturels impose le respect d’un certain nombre de paramètres : la sensibilité écologique des milieux naturels concernés, la capacité de ces milieux à supporter un niveau d’accueil déterminé et variable selon les natures des activités envisagées, ou encore la problématique des risques naturels, très présents à La Réunion.

Offrir une nouvelle approche d’un espace emblématique

Pour ce qui est de la route du Volcan, multiplier les kiosques dans le contexte actuel pose deux problèmes : le nombre important de voitures qui stationneraient alentour, et la difficulté d’un contrôle nécessaire à la préservation des sites. D’ailleurs, la suppression de certains kiosques existants ont fait l’objet de débats sinon de mécontentements exprimés ici et là.

C’est pourquoi j’évoquais l’hypothèse de restreindre la circulation de voitures individuelles, à la stricte condition bien sûr d’offrir une alternative aux usagers potentiels de cet espace.

D’abord le stationnement : cela pourrait être envisagé au 27ème km, avec des parkings balisés et surveillés, pour une modique somme.

Ensuite le transport : des navettes de bus de 22 places, accessible aux personnes atteintes d’une déficience, tous les 1/4 d’heures, aux jours et heures de grande fréquentation, pourraient être prévus. Ici, une remarque : les automobilistes qui souhaiteraient ne pas attendre une navette pourraient utiliser son véhicule en contrepartie du paiement d’une somme conséquente, laquelle servirait à l’équilibre financier dans le fonctionnement d’une telle organisation.

A partir du moment où l’approche de l’utilisation de l’espace serait réglementé, on ne constaterait plus de difficultés de circulation sinon de gestion du stationnement, et ainsi envisager la multiplication de kiosques.

Encourager les traditions et maîtriser la fréquentation

Ces kiosques pourraient faire l’objet de réservation par le biais du site de l’IRT par exemple. Ceux-ci pourraient être aménagés avec une « armoire » en pierre de lave, fermée, et à l’intérieur de laquelle le pique-niqueur trouverait tous les ustensiles et denrées non périssables nécessaires à confectionner son repas : marmites, pilon, huile, etc.

Cela nécessite un inventaire, à l’arrivée et au départ, de l’occupation du kiosque, par les gestionnaires de l’espace : que tous les objets mis à disposition soient bien restitués et rangés, que l’espace soit rendu dans un état de propreté, que les pique-niqueurs repartent avec leurs déchets, etc.

Pour ceux qui ne souhaitent pas cuisiner, là encore pourrait être envisagée la possibilité de s’approvisionner auprès de responsables de structures de restauration (gestionnaires de maisons d’hôtes, traiteurs, restaurateurs, etc.), créant de ce fait de l’activité donc de l’emploi.

Le fait d’avoir une circulation moindre de l’espace routier nous inciterait à réfléchir à d’autres modes doux de déplacements : vélos, poneys, chevaux, calèches, etc. Outre que la sécurité serait bien plus assurée, notamment pour les enfants, ce serait là encore une occasion de créer des emplois utiles et pérennes. Je ne parle pas de l’opportunité de soutenir l’emploi en faveur de guides de randonnées sur des circuits thématiques dans cet espace qui regorgent de circuits passionnants (jusqu’au Piton de l’eau par exemple).

Se préparer à la fréquentation exceptionnelle lors d’évènements exceptionnels

Avoir une telle approche conciliant liberté individuelle et responsabilité collective permettrait d’atténuer les frustrations ressentis actuellement selon lesquelles les territoires pourtant préservés par les Réunionnais depuis des générations seraient en train d’être confisqués.

Et de plus, autoriser la fréquentation d’un espace ne signifie pas absence d’un contrôle de la bonne utilisation de cet espace à préserver durablement, selon l’adage « nous ne faisons qu’emprunter la terre qui doit être préservée au nom des générations futures ».

Pour éviter que la gestion raisonnée de la route du Volcan, et des opportunités nouvellement offertes de fréquentation à des fins de loisirs, n’entraînent de nouvelles frustrations, une telle proposition, si elle venait à être prise en considération, exigerait, me semble-t-il, que soient associés le monde associatif concerné, au-delà des collectivités et autres pouvoirs publics, sous les auspices du Parc National de La Réunion et de l’ONF.

Une pratique de gestion raisonnée de cet espace permettrait de se préparer à la gestion de « crise » résultant d’une fréquentation à venir plus forte du fait d’éruptions volcaniques, à condition qu’elles soient peu « dangereuses » selon les critères fixés par l’Observatoire Volcanologique de La Réunion.

Il s’agit d’une proposition. J’estime qu’elle mérite réflexion, débat, amendement à la proposition, enrichissement de celle-ci. Ne pas le faire, c’est repousser l’exigence qui apparaîtra bien un jour de concilier liberté individuelle et responsabilité collective, utilisation d’un espace et préservation de celui-ci, développement durable et maintien des traditions.

Cette nouvelle approche de la gestion d’espace naturel pourrait se reproduire ailleurs. Pourquoi pas la forêt de Bébourg.

Tout cela n’a de sens que si la préoccupation d’activités de tourisme et de loisirs est présente, dans un souci de développer l’emploi, faisant de ces espaces des références dans le positionnement de notre Île sur un tourisme de territoire, de « jardins d’une Île essentielle », au-delà d’un tourisme de population, les touristes reconnaissant le caractère accueillant des Réunionnais, qu’il faut associer de plus en plus dans de tels projets, pour maintenir ce qui fait notre « manièr viv en Réyoné ».

 

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