Vie démocratique – Statut de l’élu : un pas en avant, mais nettement insuffisant !

 

 Voilà le vieux serpent de mer qui refait surface.

Cette fois, par le biais d’une proposition de loi  « visant à faciliter l’exercice, par les élus locaux, de leur mandat ».

 

Une proposition qui s’inscrit dans la logique des travaux entrepris par le Sénat depuis octobre 2011.

Il y avait eu notamment les Etats généraux de la démocratie territoriale, achevés par une allocution du Président de la République.

 

Le Président du Sénat, Jean-Pierre Bel, avait annoncé qu’il y aurait une suite, afin de tenter de répondre aux questions et aux problèmes des « élus locaux ».

Il avait vu deux axes : en premier lieu, la « prolifération des normes, qui tend à paralyser l’action publique », et en second lieu, le « statut de l’élu ».

 

C’est dans ce contexte qu’intervient la proposition de loi.

Elle a été rédigée par  Jacqueline Gourault, président de la délégation sénatoriale aux collectivités locales et à la décentralisation et à Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois au Sénat.

 

Je vous propose une analyse de ce que l’on appelle « exposé des motifs », c’est à dire l’explication qui entraîne la rédaction de la proposition de loi, dans ce cas, sur le statut de l’élu.

 

Pourquoi un statut ? 

 

Pourquoi les élus veulent-ils bénéficier d’un statut ?

 

Selon l’auteure, parce qu’ils sont « soucieux de maintenir la vitalité de la démocratie locale ».

Et surtout parce qu’ils estiment que « le cadre législatif était inadapté ».

 

Vrai, car le mot générique « élu local » englobe bien des mandats : conseiller municipal, adjoint au maire, maire, conseiller général ou régional, membre d’une commission permanente ou sectorielle, vice-président, président de Région ou de Département.

Il y a donc diversité des mandats, mais aussi des fonctions assumées du fait de ce mandat. 

 

Il y a néanmoins un point commun, qui se pose à de nombreux élus : est-il possible de concilier un mandat d’élu et une vie professionnelle ?

 

Elu : un être polymorphe 

 

La question ne se pose pas dans les mêmes termes selon que l’on soit maire d’une commune de 35.000 habitants, d’un village de 4.000 personnes ou d’un grande ville comme Grenoble ou Montpellier.

Chacun comprend aisément que la charge de travail n’est pas la même.

 

Dernier élément, concernant les maires : certains maires de petites communes (dites communes rurales) ne perçoivent bien souvent aucune indemnité, quand bien même la loi fixe un cadre légal.

 

Bien sûr, le « métier » de maire a évolué au fil des années.

Et pas toujours dans le sens de la simplification.

 

Non seulement parce qu’il y a eu des vagues successives de décentralisation.

Mais aussi parce le cadre juridique s’est renforcé, impliquant de nouvelles contraintes et exigeant de nouvelles connaissances.

 

Il a fallu attendre la loi du 3 février 1992 relative aux conditions d’exercice des mandats locaux pour que le statut d’élu local voie une première concrétisation.

 

Un maire, c’est un être politique, bien sûr, puisqu’il est élu.

Mais on lui demande aujourd’hui d’être aussi un technicien.

Même s’il est entouré d’un staff compétent en matière d’aménagement du territoire, d’affaires scolaires ou de gestion budgétaire.

 

Bien sûr, le tout est codifié dans le code général des collectivités territoriales.

Celui-ci prévoit, en effet, « un ensemble de droits qui bénéficie, selon le cas, à l’ensemble des élus locaux ou seulement aux titulaires d’une fonction exécutive ».

Les maires et les adjoints reçoivent des indemnités de fonction.

Ces indemnités sont calculées par référence à l’indice brut terminal de l’échelle indiciaire de la fonction publique, selon un pourcentage variable en fonction de la catégorie et la taille de la collectivité, et la nature des fonctions (membre de l’organe délibérant ou de l’organe exécutif).

 

Déjà un cadre juridique 

 

On peut par exemple citer :

– les  droits « d’absence » (autorisations d’absence et crédits d’heures accordés à des salariés pour effectuer ses missions d’élus)  

– le droit à la « suspension du contrat de travail » qui est un dispositif permettant aux salariés du secteur privé d’exercer dans de bonnes conditions leur mandat, quel qu’il soit.

 

Petit à petit, le statut d’élu a été défini et codifié.

Lorsqu’un élu perd son mandat, alors qu’il était salarié d’une entreprise, il peut aujourd’hui être réintégré dans son emploi.

On lui accorde éventuellement « une priorité de réembauche » s’il a effectué deux mandats.

 

Ont également été vraiment codifiées et encadrées les indemnités perçues.

Un maire ou tout autre élu ne peut s’adjuger le salaire qu’il veut.

Il y a un barème tenant compte de la nature de la fonction, du nombre de citoyens etc.

 

Pour les élus locaux – comme pour les parlementaires -, un système de protection sociale a été mis en place tant pour ce qui concerne l’assurance maladie que la retraite.

 

Elus et formation 

 

La loi permet aussi aux élus de se former aussi bien pour être opérationnels dans leurs missions que pour retourner dans des activités professionnelles, après une perte de mandat.

En fait, c’est l’ensemble de la panoplie des droits des salariés qui a été transposée aux élus.

 

Cela peut en perturber certains qui aiment s’égosiller à dire que tous les élus sont pourris, qu’ils ne font rien, et qu’ils s’en mettent plein les poches.

Il serait stupide de dire que ce comportement n’existe pas chez certains élus.

 

Mais c’est tout aussi stupide de dire que de tels dispositifs ne devraient pas exister.

 

C’est tellement facile de critiquer.

Surtout quand on ne connaît rien.

Et que l’on aime se croire « in », en balançant des inepties, question de se positionner contre, parce que c’est de bon ton !

 

Mais est-ce que celles et ceux qui, dans certains écrits, passent leur temps à écrire la même chose contre la vie des élus, se sont penchés sur ce qu’ils faisaient, eux, concrètement pour le bien public ?

 

Combien d’élus prennent sur leur vie de famille pour exercer leur mandat ?

L’immense majorité.

 

Les « fainéants » et autres « gripsous » ou « batteurs de karé » sont peu nombreux, et ce sont eux qui permettent de jeter sur l’ensemble de la classe politique un voile suspicieux.

 

Un contexte que n’ignore pas la proposition de loi : elle veut permettre l’amélioration « des garanties existantes applicables à l’ensemble des élus des régions, des départements et des communes ».

 

En renforçant le cadre et surtout en prenant en compte des réalités.

 

La Réunion n’est pas concernée 

 

Premier point pour les rouspéteurs professionnels : il y aura, quand la proposition de loi sera adoptée, un « taux maximal de l’indemnité allouée au maire dans les communes de moins de 3.500 habitants ».

Ceci est destiné à  « prendre en compte des contraintes spécifiques à ces collectivités ».

 

Cela permettra aussi d’étendre « l’indemnité de fonction » aux délégués des communautés de communes qui auraient reçu une délégation du président « dans les limites du montant total des indemnités maximales susceptibles d’être versées au président et aux vice-présidents ».

 

L’article 2, que je vous cite in extenso, «  exclut la fraction représentative des frais d’emploi des indemnités de fonction perçues par les élus locaux, des revenus pris en compte pour le versement d’une prestation sociale sous conditions de ressources ».

J’entends déjà certaines voix s’élever.

 

Cela ne veut pas dire qu’ils vont avoir le beurre et l’argent du  beurre.

C’est seulement la juste indemnisation pour du temps passé à assumer les fonctions.

 

Simple précision : cette  fraction représentative des frais d’emploi des indemnités de fonction est l’indemnité d’un maire d’une commune de moins de 500 habitants, (soit 646,25 € par mois depuis le 1er juillet 2010, ou 969,37 € par mois en cas de cumul de mandats).

 

Donc ces deux articles ne concernent pas La Réunion.

 

Retour à l’emploi des adjoints de 5 communes 

 

Question : que les moukatèrs professionnels de la vie politique expliquent en quoi il ne serait pas judicieux de permettre aux élus de revenir à leur « travail » initial ?

 

En voulant abaisser « de 20.000 à 10.000 habitants le seuil démographique des communes et communautés de communes dans lesquelles les adjoints au maire et les vice-présidents d’intercommunalité bénéficient du droit à suspension du contrat de travail », il s’agit simplement de permettre la « reconversion » du politique, même après deux mandats successifs.

 

Tout le monde ne peut se permettre de donner des conférences de quelques heures pour la « bagatelle » de 200.000 euros (hors dépenses de transport, d’hôtels, restaurants, déplacement etc.).

 

Pour La Réunion, seraient concernées les communes des Avirons, Entre-Deux, Etang Salé, Petite Ile, Bras-Panon.

Autrement dit, les adjoints au maire de ces 5 communes pourraient prétendre à retrouver l’emploi occupé avant leur élection.

 

En outre, ce sont les mêmes (ou presque) qui sièges dans les intercommunalités (CIVIS, CINOR, TCO, CIREST, CCSUD).

 

Indemnité de perte de mandat 

 

Alors là oui, je reconnais que l’article 4 va susciter le courroux de certains, puisqu’il s’agit de faire passer l’allocation différentielle de fin de mandat de 6 mois à une année.

 

Autrement dit, de permettre aux élus venant de perdre leur mandat de toucher pendant un an, le même montant que pendant leurs fonctions.

Je comprends parfaitement que certains, comme les salariés de l’ARAST, injustement privés de tout revenus puissent être choqués.

 

Mais si l’on compare à ce qui se passe dans le secteur privé, lorsqu’on est en fin de contrat… peut être que la mesure n’est pas si injuste que cela.

 

Si l’élu a perdu son mandat, il faut qu’il trouve du boulot, soit dans son entreprise d’origine. Soit ailleurs.

Car pour l’immense majorité des élus, la durée de mandat a été l’occasion d’acquérir de l’expérience.

Celle-ci devrait-elle être mise de côté ?

Non, bien évidemment.

 

Mais on peut néanmoins s’étonner que les deux auteurs de la proposition de loi veuillent une  « validation de l’expérience acquise au titre d’une fonction élective locale pour la délivrance d’un titre universitaire ».

 

Elus formés = diplômés universitaires ? 

 

Je ne dis pas que les élus des petites communes ne sont pas aptes à décrocher un titre universitaire.

Je dis seulement que cela peut avoir pour conséquence une dévalorisation des titres universitaires.

 

Et que l’on retombe dans certains travers – décriés par bien des personnes, à juste titre – : le fait d’être exonéré de passer un concours ou de justifier de diplômes lorsqu’on dispose de certains critères (mère de famille, militaires en retraite etc.).

 

Et voilà le 3% formation ! 

 

Etonnante aussi, cette proposition d’instaurer un plancher « pour les dépenses de formation des élus votées par la collectivité à 3% de l’enveloppe des indemnités de fonction ».

Mais au fond, n’est-ce pas la traduction du droit du travail, avec le fameux « 1% » formation ?

 

Ce qui est étonnant, c’est le montant.

En effet, la cotisation CNFPT (centre national de la fonction publique territoriale) sera rétablie à 1% au 1er janvier 2013.



 

Pour mémoire, la cotisation versée par les employeurs au titre du CNFPT avait été réduite de 1 à 0,9% en juillet 2011.

Le taux plancher de 3%, même si « les sommes non dépensées sont reportées sur les budgets suivants dans la limite du mandat en cours » semble un peu trop important.

 

Depuis la loi du 3 février 1992, chaque élu a droit, au cours de son mandat, à 18 jours de formation (gratuite pour l’élu), dispensée par un organisme agréé, dans un domaine de son choix mais en rapport avec l’exercice de son mandat.

 

Et comment on finance ? 

 

La loi vient d’être déposée.

Elle sera étudiée par les Sénateurs (avec celle concernant la question des normes) avant d’aller à l’Assemblée nationale.

 

Dans une conférence de presse, Jean-Pierre Bel a souhaité que ces propositions soient « enrichies par le débat » parlementaire.

S’il y a du bon et du moins bon, il y a aussi un gros problème qui n’est pas résolu, loin de là.

 

Comme dans toute proposition de loi, les auteurs doivent sinon chiffrer au moins identifier les financements nécessaires pour la mise en place des propositions.

 

L’auteur de la proposition de loi a expliqué : « Les conséquences financières pour les collectivités territoriales de la présente loi sont compensées à due concurrence par une majoration de la dotation globale de fonctionnement ».

Alors là, ce n’est pas gagné, loin de là.

 

Car la dotation globale de fonctionnement est gelée (déjà depuis deux ans et encore pour deux ans).

Comment l’Etat qui est « oki » va-t-il pouvoir majorer ses dotations ? Exercice impossible.

 

Sauf qu’il est précisé ceci : « Les conséquences financières pour l’État de la présente loi sont compensées à due concurrence par la création d’une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts ».

Autrement dit, les taxations sur le tabac, le papier à rouler et les cigarettes. Mais en France métropolitaine !

 

S’il y a lieu de se pencher sur le statut de l’élu, il aurait fallu que cela soit fait de manière plus poussée.

Et clarifier certains points.

 

Bien sûr, il y a la question du cumul (ou du non cumul).

Celle-ci devrait éventuellement être étudiée.

 

Ce n’est pas gagné, vu l’opposition des élus, notamment du PS, sur la question.

 

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