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2010
Un intéressant manifeste en faveur d’une autre Europe contre la peur et la xénophobie
Catégorie : Présidentielles 2012
Françoise Vergès, une des signataires
Lu sur le site de Mediapart :
« À l’heure où Nicolas Sarkozy veut «réévaluer les motifs pouvant donner lieu à la déchéance de la nationalité française», de nombreux intellectuels européens, parmi lesquels les Français Etienne Balibar, Tzvetan Todorov, Michel Agier, Françoise Vergès, Pierre Tevanian… signataires du Manifeste en faveur d’une autre Europe, défendent au contraire «une politique libérée de la peur et de la xénophobie».
L’Europe est en pleine crise. Et l’on nous dit qu’il faut avoir peur : peur pour notre sécurité, peur pour notre culture, peur pour nos emplois, peur pour nos libertés, peur pour notre confort, peur pour notre avenir.
Il n’y aurait pas d’alternative à l’insécurité de l’emploi, à la baisse des salaires et au rallongement de la vie professionnelle, à la transformation de nos quartiers, de nos villes et de nos pays en camps retranchés bardés de défenses contre tous les « ennemis publics » désormais répertoriés : les immigrants, les pauvres, les « autres » en général, différents de nous au point de vue culturel, religieux ou ethnique.
Mais est-ce bien le chemin sur lequel pourra progresser une Europe qui est aujourd’hui le foyer de millions de personnes venues de tous les horizons, croyants de multiples religions, héritiers de multiples cultures, entretenant des liens dans le monde entier ?
Dans cette Europe, il est aberrant de vouloir fermer les frontières, de fabriquer du conflit entre braves gens « de chez nous » et « racailles » venues d’ailleurs, de promouvoir la pureté ethnique et culturelle, de diaboliser tout ce qui est différent.
Le discours xénophobe qui est en train de se répandre dans la sphère publique détourne notre attention des problèmes urgents du moment, il nous empêche de trouver les idées neuves et les comportements qu’il nous faut pour affronter les dangers réels, les incertitudes pesant sur l’économie, inventer ensemble les modes de vie qu’exige une société culturellement toujours plus complexe.
En tant que citoyens préoccupés par l’évolution de l’Europe, nous en appelons au sens des responsabilités de ses leaders d’opinion et de ses dirigeants.
Nous voulons que cesse la politique de la peur et que s’enclenche une politique de l’espoir. Sinon, l’Europe retombera pour une période indéfinie dans le piège de la haine et de l’intolérance, dont il sera très difficile de sortir.
Comme par le passé, elle transformera les amis en ennemis, capables d’inimaginables monstruosités. Nous sommes à deux doigts du point de non retour.
C’est ce sentiment d’urgence qui inspire le présent manifeste, appelant tous les habitants de l’Europe, que son présent et son avenir préoccupent, à nous rejoindre pour imaginer et mettre en œuvre une politique d’ouverture appropriée au XXIe siècle.
Une politique européenne ainsi conçue doit proclamer et mettre en œuvre quatre grands principes :
1. La diversité est l’essence de l’Europe.
La vision d’une Europe inaltérable et pure, culturellement homogène, relève on le sait de la fiction. Mais cette fiction est terriblement dangereuse.
Il nous faut rappeler inlassablement et savoir reconnaître que, dans ses plus belles réussites, l’Europe a puisé aux forces créatrices du monde entier.
Ce n’est que par la coopération avec des gens aux origines diverses et aux expériences complexes, par le respect des différences et des choix en matière de sexe et de sexualité, de race, de religion et de culture qu’elle a pu se faire.
C’est cette tradition d’ouverture et d’inclusion qu’il faut ranimer pour affronter l’incertitude et les conflits de l’avenir – et non l’héritage sombre de l’autre Europe, imbue de sa prétendue supériorité sur le reste du monde, fermée sur elle-même, méfiante envers tous les autres.
2. Une mentalité de solidarité et d’espoir.
L’histoire l’a montré : dès lors qu’il faut faire face à l’incertitude et à l’instabilité, il vaut toujours mieux faire preuve de courage et de tolérance que de crainte et de fermeture.
La politique de la peur qui envahit la société européenne doit être dénoncée, rejetée et remplacée par un esprit de courage et d’ouverture face à l’avenir, qui ne pourra naître que de la mobilisation et des énergies combinées de toutes sortes de citoyens.
C’est lui qui nous permettra d’affronter les préoccupations que partagent aujourd’hui tous les membres de la société européenne, indépendamment de leur origine.
Esprit d’espoir et non pas de peur, de confiance et non pas de soupçon, d’égalité et non pas de domination, de dialogue et non pas de discrimination, de négociation et non pas d’agression.
3. La protection des biens communs.
Il nous faut développer le sentiment que nous partageons un même objectif.
En son centre, il y a la réhabilitation de l’idée des « biens communs », l’idée que c’est à nous tous qu’il appartient de créer notre environnement culturel, économique et social, et de le défendre – en même temps que le milieu naturel – contre la pollution industrielle et les excès de la consommation.
Les clés d’une telle politique des biens communs sont le développement d’une sphère publique active, des services publics dignes de ce nom et des espaces publics vivants, le respect et la protection de l’environnement, l’assurance contre les dangers et les risques majeurs, la recherche d’équipements et de technologies favorisant les capacités des individus au lieu de les détruire.
Enfin et surtout, le développement d’une priorité aux biens communs devrait être le moyen de concilier les différences entre les hommes et d’éviter qu’elles ne dégénèrent en antagonismes.
4. Une économie visant à l’accueil des hommes.
Les questions de politique culturelle sont indissociables des questions de politique économique. La solidarité économique est requise pour encourager la tolérance autant que pour offrir des emplois.
Il nous faut donc une politique qui développe l’héritage européen de justice sociale : une économie qui multiplie les chances et récompense le travail ; une couverture sociale universelle ; une responsabilisation des grandes sociétés par actions ; du travail pour tous et des rémunérations justes, ainsi qu’une action soutenue de développement des potentiels humains.
Conformément à cette tradition, qui va bien au-delà des appartenances idéologiques particulières et de l’esprit de parti, il faut de toute urgence réformer la régulation des marchés, pour faire en sorte que leurs besoins soient subordonnés à ceux de la société et non l’inverse.
Seules de telles mesures garantiront une croissance au profit du plus grand nombre et non de la minorité et, partant, susciteront des comportements sociaux et des valeurs faisant barrage à la jalousie et à la haine.
Résistons donc, tous ensemble, à la culture actuelle de l’état d’urgence et à son obsession maniaque de la surveillance et du contrôle, qui stigmatise l’étrangeté et l’altérité.
À sa place, créons une culture de la solidarité et définissons des objectifs communs qui surmontent nos différences.
Déclarons bien haut notre refus de la société injuste et inégale qui accuse ses propres victimes et ses propres sinistrés.
Réveillons notre confiance dans les pouvoirs de la démocratie, de l’équité et de la justice sociale pour la majorité des citoyens.
Fixons de nouvelles règles, fondées sur la coopération et la réciprocité, pour les relations de l’Europe avec tous les pays où la vie humaine (et la vie en général) n’est que trop souvent considérée comme une marchandise sans valeur.
Admettons que la curiosité et les leçons qu’on apprend des autres restent le plus sûr moyen d’aménager l’incertitude de l’avenir.
Notre appel est certes ambitieux, mais il est très simple : il consiste à voir dans les sujets mêmes de nos préoccupations la meilleure base de départ pour une action collective, les cadres d’une politique démocratique en Europe, et à découvrir dans les capacités d’innovation que confère aux Européens la diversité de leurs modes de vie la meilleure ressource à leur disposition pour aborder de manière responsable les défis du futur.
Le Forum des citoyens inquiets d’Europe (Forum of Concerned Citizens of Europe): http://www.forum-europa.org/.
Ce texte a également été publié, en anglais, dans le Guardian et dans la revue Dissent (Etats-Unis).
D’accord avec ce manifeste. Avec toutefois une réserve, pour cette phrase: imaginer et mettre en œuvre une politique d’ouverture appropriée au XXIe siècle. C’est le mot « ouverture » qui me gêne, dans le sens où pour moi, cela signifie une invitation à venir rejoindre un groupe (mais peut être suis-je trop influencée par les stratégies électorales…) . dans cette logique, il me semble que ce ne serait pas d’ouverture (sauf ouverture d’esprit) dont l’Europe a besoin mais des principes mêmes de tolérance. l’Europe, au sens politique, ce sont des milliers de femmes et d’hommes qui n’ont pas forcément conscience d’avoir quelque chose en commun..
Arisinoé, quand quelqu’un proclame sa volonté d’ouverture, il faut « le prendre au mot », et c’est plus une reconnaissance louable de ses propres limites pour parvenir à un objectif, qui nécessite alors de prendre en considération les potentialités de l’autre. Pourquoi ne l’a-t’il pas fait avant ? Bonne question, mais sans procès en responsabilité, l’essentiel n’est-il pas de changer en gagnant en humanité ?
Je suis d’accord avec ce manifeste. On est actuellement en train de prendre une très mauvaise pente pour ce qui est de la tolérance.
@Pierre
Vu sous l’angle de la prise de conscience de ses propres limites, effectivement, le mot ouverture ne me gêne plus. Quant à la question de savoir pourquoi on ne l’avait pas fait avant, probablement une question qui restera sans réponse. mais oui, l’heure est venue d’une nouvelle vision politique, dans laquelle l’être humain prend toute sa place, dans le respect des différences et dans un esprit de tolérance
Si ce texte a également été publié, en anglais, je pense qu’il fût écrit en français, il m’est dommage que je n’ai pu ni le trouver ou l’atteindre, ni le lire dans la langue de Molière, encore moins le comprendre. J’aurai tant aimé, si d’aventure, ce manifeste aurait été publié en français, pouvoir avoir une copie ou alors l’adresse du site web en français, merci infiniment.
Il a été publié sur le site Mediapart