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2015
Ma tribune libre envoyée ce jour à la presse – Élections régionales : le sprint final… vers l’impasse en matière de déplacements
Catégorie : CAR JAUNE, CONTRIBUTION AU DÉBAT, DÉVELOPPEMENT DURABLE, TRAM TRAIN, TRANSPORTS ET DEPLACEMENTS, Tribune libreElections régionales : le sprint final… vers l’impasse en matière de déplacements
Les propositions diverses des candidats méritent de nombreux commentaires. J’aurai peut-être l’occasion d’y revenir. Mais je m’attacherai ici à apporter ma contribution dans un domaine qui me semble essentiel : l’avenir des déplacements, notamment collectifs.
Tous les candidats se sont engagés à réaliser des infrastructures lourdes. La première question à se poser est : avec quels moyens ?
D’emblée, constatons, parce que les analyses financières ont été faites, l’absence de marges de manœuvre frappant l’ensemble des collectivités concernées.
D’abord la Région. La Chambre Régionale des Comptes et le Cabinet spécialisé Klopfer ont conclu à une capacité d’investissement quasi nulle de la Région dans les années à venir, même en cas de maîtrise budgétaire du chantier de la nouvelle route du littoral, qui connaît pourtant de sérieux aléas, apparents (l’approvisionnement en matériaux notamment), et « cachés » (par exemple le problème de l’instabilité des sols sur le tracé devant accueillir les piles du viaduc).
Pour bien comprendre l’enjeu, il faut être conscient qu’une politique de déplacements durables doit mobiliser TOUS les acteurs concernés. Et chacun sait que le Département et les communes, comme les communautés d’agglomérations, se plaignent – à juste titre d’ailleurs – des effets désastreux des mesures nationales : d’abord du gouvernement Sarkozy-Fillon de geler les dotations aux collectivités, ensuite du gouvernement Hollande-Valls de réduire celles-ci.
C’est dans ce contexte que le Département a recentré la réorganisation du réseau Car jaune sur ses compétences, et RIEN QUE sur ses compétences. Résultat : malgré des recettes supérieures à celles attendues contractuellement, des difficultés persistent du fait, d’une part, du refus du Département de renforcer le réseau avec des bus supplémentaires, et d’autre part, du refus des réseaux locaux de se renforcer en conséquence, en ne se greffant pas suffisamment sur ce réseau armature avec des correspondances adaptées. Réseau armature dont la responsabilité va bientôt être transféré du Département à la Région, ne l’oublions pas.
Pourquoi les communautés d’agglomérations, responsables de ces réseaux locaux, n’ont-elles pas pris les mesures indispensables ? La réponse réside dans un choix financier, car les options retenues par les élus concernés, PAR AILLEURS CANDIDATS AUX REGIONALES, le montrent : réduction du montant annuel envisagé pour les futures délégations de service public du TCO comme de la CINOR, pour ne citer que celles-ci.
Et pourtant, chaque candidat y va de son projet qui, comme pour le réseau Car jaune, se heurtera aux difficultés de correspondance adaptée à la nouvelle infrastructure proposée, pour peu que celle-ci se concrétise et ne reste pas au stade de promesse de campagne irréalisable financièrement.
Car je le répète : une fois accompli le voyage par voie ferroviaire, il faut bien que les usagers prennent un réseau local qui ne soit pas bloqué du fait du partage de la voirie routière de plus en plus embouteillée. Et on en revient à la réduction de l’offre proposée par les communautés d’agglomération, où la mise en œuvre de voies réservées aux transports collectifs est totalement absente du débat.
Monorail ? Pas cher ? En investissement, sûrement moins qu’un vrai projet ferroviaire. Sauf que le fonctionnement est onéreux. Puisque surélevé par rapport à la voirie routière, ce qui ne va pas sans poser des problèmes d’intégration paysagère en milieu urbain, il faudra des aménagements respectant les exigences d’accessibilité, notamment aux personnes à mobilité réduite. De plus, s’il s’agit par exemple d’une solution pour les usagers automobilistes venant de l’Est, il faudrait préciser où vont se trouver à Sainte-Marie les parcs relais pour les dizaines de milliers de voitures concernées.
Un tramway de Saint-Benoît à Saint-Denis, pas un tram-train, comme l’a précisé Huguette Bello lors d’une matinale sur Radio Réunion ? Cela signifie une vitesse réduite du tramway puisque desservant les communes de l’Est. Ensuite, à quel coût, et avec quel argent, puisqu’en plus de la dépense assumée avec sans doute des surcoûts pour la NRL, il y aura de lourds investissements (587 millions d’euros valeur 2015) pour le fameux boulevard Nord cher à Gilbert Annette ?
Un réseau ferroviaire de Saint-Benoît à Saint-Pierre voire Saint-Joseph, comme le préconisent Thierry Robert et Patrick Lebreton ? Si la proposition a le mérite de fixer un objectif sur la quasi-totalité du territoire habité, encore faut-il préciser les tronçons prioritaires, et là aussi avec quels moyens financiers.
Il y aurait encore tant à dire à ce sujet. D’ores et déjà, quelques interrogations :
– puisqu’il est indispensable d’avoir des voiries réservées aux transports collectifs pour garantir la régularité du trafic, afin d’avoir des correspondances avec le moindre temps d’attente, en ville comme en milieu inter urbain, va-t-on construire de nouvelles voies dédiées, où et avec quel argent, ou bien va-t-on devoir partager la voirie existante, ceux voulant garder leur liberté de circuler dans des voitures acceptant de partager le réseau actuel, déjà saturé ?
– puisque les moyens financiers sont réduits, quand on sait que les transports collectifs n’absorbent qu’une portion congrue des déplacements, mesure-t-on ce qu’il faudra comme moyens financiers ne serait-ce qu’en cas de doublement de la fréquentation par bus, pour ne pas aggraver le questionnement avec un tronçon ferroviaire ?
– enfin, sachant que les moyens financiers actuels résident principalement dans la taxe sur les carburants, par le biais du FIRT (fonds d’investissement routier et de transport), comment généraliser les transports collectifs sachant que cela affectera par voie de conséquence les recettes perçues sur du carburant qui serait alors moins consommé ?
Pour conclure, je dirai que l’enjeu des déplacements est trop important pour être traité superficiellement. Les défis à relever sont tels que les candidats auraient intérêt à en appeler à la conscience citoyenne. Et ce avant que les difficultés ressenties ne deviennent tellement insupportables que des mesures à l’emporte pièce soient prises ici et là, tout en montrant du doigt « l’autre », bouc émissaire tout trouvé, ainsi que je l’ai écrit dans ma tribune libre du 20 mai 2015 sur le projet régional par ces mots : « Le projet doit bien sûr affirmer un accord sur des points essentiels. En tout état de cause, il ne peut être un catalogue de mesures dont la mise en œuvre dépendrait de l’Etat voire d’autres partenaires, car le citoyen pourrait y voit une énième manœuvre pour leurs auteurs de se dérober une fois l’élection passée. »
Pierre Vergès
M. Verges,
Vous avez une expertise à ce sujet certes. Mais je tente à penser que la fonction « politique » est en train dêtre désacralisé. Il n’y a qu’à voir le taux d’abstention mais aussi l’ardeur des rejets des politiques publics. Les gens n’y croient plus. Il n’y a qu’à la Réunion que les élus se mêlent de tout pour au final sortir une souris. Nous devons libéraliser à notre échelle tous les secteurs, casser les chaines « intellectuelles » de nos concitoyens pour qu’eux mêmes décident de ce qu’ils veulent… Au niveau transport, pourquoi pas développer un partenariat public-privé? Un consortium d’acteurs majeurs du transport s’associeront pour développper le transport de demain, aux élus de consolider le projet en financant les lacunes du projet initial.
Quand je regarde Maurice avec le maillage commercial et libéral du transport (sans regarder la vétusteté des bus) je me dis qu’il y a moyen de déléguer aux transporteurs cette responsabilité. A l’échelle national, la loi Macron a permis à de nouvelles compagnies d’Autobus de desservir des villes via la création de nouvelles lignes. L’Etat-Providence est fini. L’Etat est-elle intervenu dans la circulation des voitures sur les routes? Quotas? Horaires? Circuits? Elle a juste mis les limites et le code de la route… et aux constructeurs des normes sécuritaires et environnementales. En matière de transport public: Ne peut-on reproduire les mêmes schémas?
Monsieur, à La Réunion, nous avons les mêmes règles qui s’appliquent en France continentale, dans les régions, les départements, les communes et les intercommunalités.
Libéraliser ? On voit ce que cela donne en Angleterre avec les désagréments que connaissent les voyageurs, du fait du peu de moyens mis pour l’entretien des lignes parce que déficitaires, et que seule la rentabilité anime les investisseurs concernés.
Le public est là pour maintenir autant que faire se peut un équilibre entre territoires favorisés et territoires défavorisés. Pour autant, il doit s’appuyer sur l’expertise des professionnels du secteur.
Ainsi, pour le réseau Car jaune, les lignes, l’amplitude horaire et la fréquence de passage de celles-ci, pour ne citer que ces aspects, ont été définies par le groupement (« consortium d’acteurs majeurs du transports » comme vous l’écrivez) Cap Run regroupant justement les acteurs majeurs du transport.
Pour ce qui est de l’île Maurice, il y a du bon, mais aussi du moins bon : les embouteillages, compte tenu du choix de concentrer les zones économiques, vont mettre à mal le secteur des déplacements. On verra si l’Etat, au nom du dogme « libéral », laisse empirer la situation.
Pour ce qui est de « l’orientation » Macron, attendons de voir ce que cela aura comme conséquence pour le rail. À moins, comme vous dites, que l’objectif est de suffisamment affaiblir les régions, après leur avoir transféré les TER sans les moyens correspondants, pour qu’elles n’aient pas d’autre choix que de privatiser. Et on en revient à l’expérience britannique.
Je suis assez d’accord pour reconnaître que l’Etat-providence n’autorise pas tout, comme l’expérience me montre qu’il faut avoir une confiance très mesurée dans le privé dont le souci ne peut être, à juste titre, de servir le public dans des secteurs importants, pour le transport dans des quartiers isolés, parce que le privé y va de son argent personnel
Concrètement, je pense que la création d’un TCSP ferroviaire régional est faisable. Oui, le projet Tram-Train a levé des boucliers humains importants ce qui fait que les régionales de l’époque ont été aperçus comme un référendum. On connaît la suite.
Aujourd’hui, l’Etat n’a plus d’argent donc les collectivités locales encore moins.
Ma vision est simple: il faut voir les études d’impact et d’insertion dans le paysage, mais pourquoi ne pas développer comme en Thaïlande une voie aérienne « Skytrain » qui n’aurait pas à exproprier des gens mais juste consolider via des piles une route au dessus des 4 voies existantes et meme les 2 voies vers St Joseph qui ferait une boucle. Ensuite aux AOT de mailler les arrêts avec les dessertes locales de quartier comme aujourd’hui. Faire St Benoit a St Joseph en moins d’1h45 via ce concept est faisable. Un train long et rapide qui desservirait chaque ville avec un arret « phare ». Ce projet est totalement financé par des entreprises privés. Une aide des collectivités peut se faire pour augmenter l’amplitude horaire (4h-23h). Les écarts restent desservis par les AOT actuels. Les jeunes pourront aller en boite dans l’ouest sans prendre le volant. Il faut que tout le monde s’asseoit autour d’une table, car on se rejette tous la balle.
Vous faites un constat juste mais pouvons-nous avoir « une projection » ou une « proposition » à ce sujet?
D’abord, je ne suis pas certain que les régionales de 2010 se soient faites sur le devenir du Tram Train. La MCUR, la division à gauche, la division à l’intérieur du camp de l’alliance, les critiques sur les Vergès, sont autant de causes du résultats de 2010.
Bien sûr, un mode de transport en site propre est la solution d’avenir, en recherchant une réalisation à moindre coût compte tenu de la raréfaction des finances publiques.
Les exigences d’intégration environnementale sont à prendre en compte, sur un linéaire qui englobe des problématiques de passage en milieu urbain et en zone non habitée.
Cela est-il possible avec un tram train, sans expropriation ? Oui, à condition d’être dans un MODE TRAIN TRAM plus que dans un mode tram train. Cela signifie une approche « tangentielle » en milieu urbain. Ainsi, puisque vous évoquez les expropriations pour le tram train, elles ne résultaient pas du passage au niveau des habitations, mais du fait qu’il empruntait des voies étroites comme la rue Gibert des Molières, après un passage en centre ville de Saint-Denis.
Dans une configuration « tangentielle », le passage serait privilégié sur le Boulevard Sud où les contre-allées appartiennent à la Région, donc pas d’expropriation. Bien sûr que cela « empiètera » sur la voirie routière, et c’est bien le débat que je souhaite voir ouvert sur le devenir des déplacements dans une perspective de développement durable.
En ce qui concerne le modèle thaïlandais, que l’on retrouve dans d’autres villes asiatiques, il n’a pas encore fait recette en Europe, et encore moins en France. De plus, il concerne des zones à forte densité d’habitations, sauf les extensions vers des infrastructures aéroportuaires.
Un financement totalement privé ? Sauf que ces privés devront se remunérer sur l’usager. A quel prix ? Avec quelle prise de risques, les études de fréquentation restant aléatoires, car il faudra changer les habitudes des « amoureux » de l’automobile qui garderont tout l’espace routier, même si celui-ci a tendance à saturer dans de plus en plus d’endroits. A moins que vous n’ayez oublié d’évoquer une « garantie de recettes » à la charge des collectivités, auquel cas il faudrait en connaître le montant !
Vous écrivez encore : « Il faut que tout le monde s’asseoit autour d’une table, car on se rejette tous la balle. » Mais vous n’êtes pas sans savoir qu’il existe une structure, le SMTR, syndicat mixte des transports de La Réunion – lisez les articles de mon blog – regroupant toutes les autorités de transports : Région (qui préside la structure par le biais de Mme Fabienne Couapel-Sauret), Département, Cirest, Cinor, Tco, Civis et Casud.
Mais je vous le concède, les procés-verbaux des réunions du SMTR l’attestent, le seul qui ait introduit le plus de problématiques en débat, c’est moi lorsque j’en étais membre au nom du Département, sans que les autres membres ne se soient saisi des questionnements, à défaut de prendre des décisions rapides, j’en conviens.
À titre d’exemple, j’ai abordé la nécessité d’avoir des accompagnateurs « à demeure » dans chaque bus à quelque heure que ce soit, pour la sécurité, la médiation, l’information aux usagers, notamment les touristes, l’accompagnement de jeunes passagers, en cas de correspondances avec les réseaux locaux, en joignant son collègue accompagnateur du réseau local concerné, pour « sécuriser » le trajet de ces jeunes usagers devant le risque d’incivilités, tout cela pour alléger grandement le travail du chauffeur). Cela a un coût, mais il faut savoir si les décideurs veulent rendre le transport collectif plus attractif. De plus, je suis convaincu que les usagers seraient prêts à un effort financier supplémentaire, pourvu qu’ils aient une plus grande sécurité et pour peu qu’un échange suivant une large information s’installe.
Alors oui, il y a du chemin à faire, mais il faut aller plus loin que renvoyer dos à dos les acteurs potentiels en mettant en cause ceux qui ont essayé de déployer tant d’efforts pour faire avancer la cause du transport collectif.
Enfin, au-delà du constat, j’ai avancé des préconisations : je vous invite à vous référer à mes nombreux articles.
Cependant, je dis bien cependant, pointons du doigt les contradictions générées par des dispositifs s’appuyant sur le règne de l’automobile (recettes importantes assises sur des taxes sur le carburant, que l’on invite « royalement » à diminuer en demandant aux collectivités de favoriser les transports collectifs ) et la baisse des moyens à des collectivités à qui l’Etat a transféré les charges de réalisation d’infrastructures routières (route des Tamarins avec 0 euro de subvention, route du littoral dans un état tel qu’une nouvelle route risque de pénaliser durablement les finances régionales, sans compter l’entretien du réseau routier).
C’est pourquoi une solution globale assise sur une infrastructure ferroviaire, dont la prise en charge des coûts devra relever de l’Etat ET des collectivités locales, EN FONCTION de leurs moyens respectifs, ET de leurs engagements concrets à favoriser les déplacements collectifs, devra être partagée localement, confortée – pourquoi pas ? – par un référendum d’initiative populaire, avant de faire l’objet d’une âpre négociation avec l’Etat, avec à la clé – pourquoi pas ? – des accords de Matignon 3.
C’est peut-être cela aussi le sens concret à donner au vœu – pieux ? – des autorités étatiques de faire voter une loi pour l’égalité réelle en faveur de chaque département d’outre mer.
Je vous remercie pour vos lumières très intéressantes. Je concluerais juste sur une question: Arriverons-nous à nous « solidariser » pour notre avenir?
J’ai lu cette article et il me semble intéressant: http://www.lesechos.fr/idees-debats/cercle/cercle-91796-societe-deconomie-mixte-a-operation-unique-innovation-ou-operation-de-communication-1003442.php#
et celui la
http://www.lagazettedescommunes.com/241910/la-sem-a-operation-unique-nouvel-outil-de-gouvernance-des-projets-a-disposition-des-collectivites/
Est-ce une voie?
Merci pour l’information, vous avez la qualité je vraiment aimé cet article.
Article très intéressant , c’est un plaisir de vous lire.
Très bon article.