Courrier de lectrice – Le port de Bois Rouge : une catastrophe annoncée

courrier des lecteurs Le 8 avril 2014, Jean-Marie Virapoullé, 3e adjoint du nouveau maire de Saint-André, qui a fait du projet de Bois Rouge un des axes majeurs de son mandat, déclarait au JIR, lors de la seconde phase de travaux concernant l’agrandissement du terminal à conteneurs de Port Réunion, que « Les deux projets sont complémentaires ». 

Selon lui, « Le port de l’Ouest doit justement être agrandi afin de pouvoir concurrencer les autres ports de la zone comme Port-Louis. Celui de Bois-Rouge dans l’Est vient en complémentarité comme étant un port de débarquement de certaines marchandises comme le charbon ou le ciment, de manière à libérer celui de l’Ouest, appelé alors à devenir un port d’éclatement ».

Cette déclaration va à l’encontre de la philosophie des acteurs et membres de l’Observatoire Villes Ports Océan Indien (OPVOI), réunis ce mois de Juin 2014 au Port. En témoigne la déclaration de Andrew Mather, ingénieur pour la municipalité métropolitaine de Durban : « Créer une émulation entre tous les pays de la région est également bénéfique pour nous. Il ne faut pas que nous soyons opposés, mais aller de l’avant tous ensemble » (cf http://www.ipreunion.com/photo-du-jour/reportage/2014/06/10/seminaire-de-l-ovpoi-l-ocean-indien-travaille-sur-ses-ports,25853.html).

La déclaration de l’adjoint de Saint-André est donc là un bien beau contre-exemple de coopération régionale !
Mais ne nous arrêtons pas à cette déclaration. Supposons que le projet du port de Bois Rouge ait été finalement construit. Se révèlerait-il aussi complémentaire que celui déjà existant de Grand Port Réunion ?

Dimensionnement du projet : le port en lui-même

Distant d’à peine 35 km de Port Réunion, le site du port de Bois Rouge cumule dès l’origine d’importants handicaps.

D’abord, il ne jouit que d’une surface limitée pour son activité existante et future. Cette surface est estimée à 50 ou 60 hectares, sous réserve des études à venir à l’arrière des installations déjà existantes (centrale thermique et usine sucrière) .

De toute façon, il ne faut pas sortir de l’ENA pour constater qu’on est en en effet limité à l’Ouest par la rivière Saint-Jean, à l’Est par la réserve naturelle de l’étang de Bois Rouge, et au Sud par l’agglomération de Saint-André ( avec Quartier Français et Cambuston).

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II faut comparer cette situation à celle déjà existante de notre seul port en baie de La Possession, qui dispose aujourd’hui en plus des terrains déjà exploitées (estimation actuelle d’environ 3,5 hectares pour le charbon, de 2,7 hectares pour les silos à céréales, et de 22 hectares pour entreposer les containers ) de 60 hectares vierges de toute installation, et dont le foncier est totalement maitrisé par des acteurs publics qui sont en attente d’une étude d’exploitation .

Tout cela est parfaitement visible sur le site public Geoportail qui permet de réaliser des calculs de superficies.

Il faut ensuite ne pas négliger que les infrastructures portuaires de Saint-André se situent dans une zone à fort potentiel inondable.

Ainsi, la Grande Rivière Saint-Jean et la Rivière Sainte Suzanne interagissent au niveau de l’exutoire, dans le secteur de la Marine. Nul doute que cela peut engendrer des conséquences importantes sur ce secteur.

De ce fait, cela réduit d’autant le périmètre de développement du port lui-même dès sa création (voir à ce propos le rapport de la DEAL daté de août 2012 – http://www.reunion.developpement-durable.gouv.fr/IMG/pdf/rapport_TRI_reunion_vdef_cle5a97d3.pdf) .

L’entrée du port pose aussi problème en termes d’accessibilité. En effet, selon la météo et les saisons, il est exposé à des fortes houles venant de l’est et l’entrée de celui-ci reste donc périlleuse. Cette climatologie particulière a a déjà été mentionnée dans l’étude d’impact sur les carrières sur le site du colosse (http://www.reunion.pref.gouv.fr/IMG/pdf/Etude_d_impacts_D106_Le_Colosse_HOLCIM_cle843711.pdf ).

Le risque est donc grand que les navires, du fait donc du coût important engendré par l’attente, se déroutent alors vers Grand Port Réunion ce qui diminuerait d’autant la fréquentation du port de Bois rouge.

La construction d’un brise lame est alors envisagée désormais. Cela ne manquera pas de renchérir d’autant le coût de construction du port de Bois Rouge, dont l’estimation actuelle est de 300 millions d’euros.

Il faut rajouter à cela des couts d’entretiens plus importants encore que la moyenne, car la présence de masses importantes de sables contribue à l’ensablement périodique de l’entrée du port, et nécessite donc des opérations de désensablage périodiques (cf carte du BRGM septembre 2008 – http://infoterre.brgm.fr/rapports/RP-56579-FR.pdf)

Au grand dam des riverains, le site devra aussi être classé SEVEZO seuil haut et soumis à autorisation avec servitude du fait de l’installation envisagée des réservoirs de carburant sur ce même site semble-t-il.

Ces mêmes riverains se trouveront donc confrontés à des règlementations spécifiques qui font que la valeur immobilière de leurs habitations diminuera considérablement. En plus de cela, ils seront exposés à des risques non négligeables : une sorte de double peine en fait.

Eux qui auraient pu voir dans ce projet un élément décisif de développement économique de l’Est…

D’un point de vue financier, ce projet n’est aucunement assuré de bénéficier des crédits européens dans le cadre du programme « autoroutes de la mer », car il risque de faire partie des nombreux projets peu pertinents présentés aux autorités européennes. Le port n’aurait en fait qu’une incidence limitée sur le transfert modal du fret routier, comme risquent de le considérer les autorités européennes.

Un rapide examen de la situation actuelle nous mène déjà à cette conclusion.

Au début des années 2000 le CESER (Diagnostic et évolution du secteur de transport routier de marchandises à la Réunion http://www.reunion-developpement.com/wp-content/uploads/2007/10/diagnostic-et-evolution-du-secteur-de-transport-routier-de-marchandises-a-la-reunion.pdf) nous indiquait déjà que 4 rotations par jour par des camions de 23 tonnes suffisaient à l’approvisionnement de l’usine électrique de Bois Rouge en charbon.

Si l’on prend le cas du sucre : 80 000 à 100 000 tonnes de sucres provenant de l’usine de Bois rouge sont expédiés par la route vers le port actuel entre juillet et début décembre et encore des craintes fondées peuvent nous faire douter de la pérennité de celle-ci. Ces seuls éléments assureraient ils au port de de l’Est une activité minimale suffisante, il est permis d’en douter…

De plus ne pouvant pas recourir aux fonds européens, la position jusqu’au-boutiste des défenseurs de ce projet risque de conduire à recourir au partenariat public-privé pour la réalisation du port de Bois Rouge, en usant de l’argument qu’il présenterait soit-disant un caractère d’urgence et de complexité.

Mais ce contrat de partenariat risque d’être mal négocié, et la collectivité locale être alors engagée à payer un loyer important face aux craintes de l’investisseur privé.

Spécialisé dans le vrac, le port de Bois Rouge ne pourrait même pas compter sur le transport de camions par bateaux d’un point à un autre de l’ile : une sorte de cabotage côtier.

En effet la faible distance entre Grand Port Réunion et Bois rouge fait qu’aucun transporteur maritime ne peut assurer aux acteurs économiques qu’il sera moins cher que le transport terrestre.

Ce système demande une organisation qui prend du temps pour monter en puissance. Car de nombreux éléments doivent être prise en compte : il faut s’assurer d’un coefficient de remplissage suffisant de ces navires avant de prendre la mer.

Les acteurs économiques voudront-ils troquer la flexibilité du transport routier qui est déjà très bien adapté à « la stratégie du flux tendu », contre ce système de cabotage qui demandera une refonte complète de leur logistique ?

Si tel était le cas, il faudrait envisager l’achat de deux navires rouliers de type RORO qui seraient postés au départ de chaque port (ou en prévision, quand l’un serait en maintenance ou en panne).

D’un cout unitaire de 38/40 millions d’euros, ce type de navire est capable de transporter chacun 150 remorques. Mais ne pouvant que transporter que 12 chauffeurs par bateau, les autres devront récupérer leurs camions à Saint-André par voie terrestre.

Si l’on veut un bateau plus grand de type RO-PAX avec 150 cabines et 250 camions, c’est près de 120 millions d’euros qu’il faudra débourser (voir à ce sujet le rapport du parlementaire Henri de RICHEMONT le 26 mai 2009 à monsieur Dominique Bussereau, secrétaire d’Etat chargé des transports).

L’Etat français accorderait des subventions à ce type d’équipements ?

Concernant Grand Port Réunion et la complémentarité de Bois Rouge, cela pourrait se révéler complètement illusoire. Et même entraîner des effets pour le moins contrariants.

Ainsi, une partie du charbon débarqué au Port et du sucre embarqué par Bois rouge peut diminuer les recettes du trafic de vrac d’un port fragilisé par la concurrence déjà accrue des ports voisins, malgré les efforts d’investissement à réaliser pour rester compétitifs.

Les moyens financiers accaparés par le port de Bois Rouge manqueront pour agrandir et moderniser le Grand Port Maritime de La Réunion. Il ne pourrait plus par exemple conquérir le leadership de l’avitaillement en Gaz naturel Liquide, car en retard dans sa réalisation concrète.

Il ne pourra pas non plus se transformer en port « usine », dont le principe est de « créer des espaces dédiés la transformation des produits bruts » comme le déclarait monsieur Hervé Marodon, dans la revue Le Mémento numéro 416 datée de mars 2014, toujours par manque de moyens financiers.

Pire encore, le Grand Port Maritime de La Réunion ratera le virage du « feedering », qui est le processus de collecte et de distribution des conteneurs dans les nombreux ports secondaires délaissés par l’organisation des lignes océaniques autour de quelques grands ports desservis par des navires de plus en plus grands (voir à ce sujet la note de Synthèse numéro 101 ISEMAR de Janvier 2008).

En effet, il ne suffit pas d’être capable de réceptionner des porte-containeurs de grandes capacités. Encore faudrait-il que Grand Port Réunion fasse le choix de posséder sa propre compagnie de cabotage qui éclaterait ces containers vers les autres ports. C’est ce qu’on appelle le le cabotage de récollection « feedering ».

La thèse sur « La viabilité du cabotage maritime de marchandises conteneurisées entre la péninsule ibérique et l’Europe du nord-ouest » de Hipolito Martell Flores, parue en janvier 2007, va totalement dans ce sens : « Nous pensons donc, que le développement du cabotage pourrait donner un nouvel élan commercial aux ports, particulièrement à ceux qui se trouvent dans une situation de stagnation ou de diminution des trafics de fret. Dans le cas général des ports, le développement du cabotage pourrait aussi créer des activités économiques de coordination des opérations de transport ». (cf schéma ci-dessous)

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La création d’une compagnie réunionnaise de société de cabotage, financée en partie par la Région-Réunion et d’autres partenaires institutionnels régionaux, à l’instar d’Air austral à ses débuts dans l’aviation, serait primordiale pour la survie de Grand port Réunion.

Comment envisager alors d’investir au bas mot 300 millions d’euros dans un second port dans l’Est de l’ile.

Un nouveau feeder reliant Port-louis, Mayotte ,Durban et les ports de Madagascar devrait être créé avec comme port de transbordement Grand Port Réunion. Mais certains préfèrent créer un deuxième port dans l’Est.

Une étude sur la desserte maritime de l’Océan indien, menée déjà en 2009 par les sociétés Maritime Logistics and Trade Consulting et Egis à la demande de l’AFD, l’Agence Française de Développement, indiquait ceci : 

« D’un point de vue économique, chacun des ports étudiés (Port Louis ,Port Réunion, Port Toamasina, etc) précédemment a intérêt d’être la plate-forme de transbordement régional. Les rentabilités socio-économiques sont toutes positives. Les nouvelles recettes d’exploitation liées aux nouveaux trafics traités, ainsi que les gains économiques engendrés par une modification des escales de leur trafic (escales feederisées escales directes), légitiment les investissements qu’il faudra réaliser ».

C’est en page 163, et en lisant plus loin, page 164, cette étude indique clairement depuis 2009 que Port Réunion et Longoni seraient encore plus judicieux comme choix de plate-forme de transbordement.

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En examinant de près ce rapport, réalisé il est bon de le rappeler en 2009, c’est-à-dire il y a peine 6 ans par des experts et consultants internationaux spécialisés dans ce domaine, on ne voit aucunement la moindre allusion à la création d’un deuxième port à l’ile de la Réunion pour faire de Grand port Réunion un véritable port de transbordement.

Au contraire, on soulignait la capacité de Grand Port Réunion à le devenir, à condition que tous les investissements y soient réalisés. Alors qu’avec la création du port de Bois Rouge, les financements ne pourront pas être mobilisés au bon moment. On parlait même dans ce document d’une prochaine étape avec une étude de faisabilité d’une compagnie de cabotage maritime nationale.

Ne serait-il pas légitime de faire un parallèle entre l’attitude jusqu’au-boutiste de Didier Robert au sujet de sa fameuse NRL et celle de monsieur Jean Paul Virapoullé et de son fils à propos de la création d’un deuxième port à la Réunion. Ces trois personnalités, pourtant d’un âge diffèrent, se critiquent tour à tour. Mais ils ont au moins une chose en commun : proposer des projets qui n’ont pas de visibilité et financièrement périlleux.

D’autres solutions existent pour St André, comme la création d’un port sec que les différentes équipes municipales avaient déjà envisagée pourtant. La crise requin offre aussi d’importantes opportunités au site du Colosse avec la création d’une piscine publique dotée d’une filtration biologique à l’exemple de celle qui est en voie de de construction de 35 000 m2 au philippines (5000 m2 sont destinés au bassin de régénération). Reliée par la future coulée verte au centre ville,voici les projets porteurs pour cette commune de st André.

Une citoyenne éclairée. 

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