À propos des « déficits publics que l’on ne peut léguer à nos enfants »

 

   

     Maxime Camuzat

Je voudrais partager avec vous cet article très intéressant de Maxime Camuzat, maire de Saint-Germain du Puy et vice-président de l’Association des maires de France, à partir de son intervention en séance lors du 93ème Congrès des Maires de France (23-25 novembre 2010).

Les intertitres sont de moi.

 

« Je crois que nous l’avons tous et toutes remarqué :

on ne peut pas lever le doigt en demandant un peu plus de moyens pour nos retraites, la sécurité sociale, les budgets  des  communes,  des  départements  ou  des  hôpitaux, 

sans  qu’à  un moment  ne survienne l’argument  suivant : 

« vous n’y pensez pas : vous savez bien qu’il n’y a plus d’argent »,

alors que les déficits publics « sont énormes », jusqu’à la phrase imparable : 

« vous ne voudriez tout  de même pas que l’on lègue une telle situation à nos enfants ? »

 

______________________________________________________

Une volonté politique de nous culpabiliser

______________________________________________________

 

Évidemment,  cette culpabilisation est  imparable : si  l’on répondait  autre chose que « non », vous imaginez la suite.

Et bien sûr, ensuite arrive la phrase

« il faut donc que tout le monde fasse des efforts »…

 

Nous  l’écoutons  sans  cesse  au  sujet  de  la « réforme territoriale », de la situation de la Grèce, de l’Irlande…

Nous l’avons à nouveau entendu au Congrès des Maires de France.

Entendu, réentendu.  

 

C’est  pourquoi  Finances locales, 2010, année de tous les  chantiers »,  pour  simplement,  donner  quelques arguments  prouvant  que

« non,  ce  n’est  pas  l’argent  qui  manque :  il  y  en  n’a  jamais  eu  autant ».

 

Simplement, il n’est plus là où il faut, car il y a eu un transfert de richesses sans précédent du « travail vers le capital » au cours des dernières décennies du 20ème siècle.

Sans précédent, et partout !

 

Ce qui attire les commentaires suivants aux États-Unis : 

 

« j’ai  attendu  et  j’attends  encore  quelque  normalisation  dans  le partage du profit  et  des  salaires » car  « la part  des  salaires  dans  la valeur ajoutée est historiquement basse, à l’inverse d’une productivité qui ne cesse de s’améliorer ».

 

Cette  phrase  est  extraite  d’une  interview  de  Monsieur  Alan Greenspan, ancien directeur de la Réserve Fédérale Américaine (FED), livrant, il y a quelques années déjà, ses inquiétudes au « Financial Times ».

 

______________________________________________________

La baisse de la part des salaires dans le PIB

______________________________________________________


Ce  constat  chiffré  est  unanimement  partagé : d’après  le  Fonds  Monétaire International (FMI), dans les pays membres du G8, la part des salaires dans le Produit Intérieur Brut (PIB) a baissé de 5,8 % entre 1983 et 1986.

 

Ce que cela donne en Europe ?  

D’après la Commission Européenne, cette part a chuté de  8,6  %.

 

« La  part  des  revenus  du  travail  dans  la  richesse  globale européenne a,  ces 30 dernières années,  continuellement  perdu du terrain par rapport  aux  revenus  du  travail. 

Il  est  souhaitable  que  cette  tendance  soit inversée  pour  préserver  la  cohésion  sociale »  a-t-elle  commenté  dans  son rapport 2007 sur l’emploi en Europe.

 

Que donne cette réalité en France ?

Toujours selon la Commission Européenne, et selon le calcul employé, le chiffre serait de 8,4 % à 9,3 %.

 

Mesure-t-on ce que veut  dire ce pourcentage au regard du PIB de notre pays,  qui  est  de près de 1 800 milliards d’euros ?

 

Cela veut  dire « qu’en gros,  il  y aurait donc 120 à 170 milliards d’euros qui  ont  ripé du travail  vers le capital »

calcule Jacky Fayolle,  ancien directeur  de l’Institut  de recherches  économiques  et  sociales (IRES).

 

Ce commentaire, ceux qui suivent, ainsi que les chiffres cités, sont tirés d’un article de François Ruffin : « Partage des richesses, la question taboue », évidemment consultable sur internet.

 

______________________________________________________

Des milliards d’euros passent du travail au capital

______________________________________________________


Ce transfert devrait être donc au cœur des débats actuels sur les « déficits de la dépense publique » :

car même avec des estimations basses,  c’est donc 

plus  d’une  dizaine  de  fois  le  déficit  de  la  Sécurité  Sociale  (12 milliards) et une vingtaine de fois celui des retraites (5 milliards) !

 

Or, tous les débats médiatiques parlent de ces trous là, tandis que celui, combien  plus  profond,  creusé  par  les  actionnaires  dans  la  poche  des salariés et  dans le financement  des cotisations sociales est  lui,  disons, « oublié » :

il  est  comme  effacé  de  la  sphère  publique,  éclipsé  par  les médias,  à peine cité par la quasi-totalité des responsables politiques. 

 

Ce qui  devrait  être  le  point  central  du  débat sur  la  cause  profonde  des « difficultés  actuelles »  est  devenu,  comme  le  dit  M.  Ruffin,  « le  point aveugle ».

 

D’autant qu’un autre phénomène est venu le confirmer :

la part des produits financiers dans la valeur  ajoutée des entreprises est  désormais près de deux fois supérieure (29% contre 15%) à celle de leurs cotisations sociales.

 

______________________________________________________

Les revenus financiers explosent !

______________________________________________________

 

Les revenus financiers des entreprises et des banques ont explosé (+143% entre 1993 et  2009,  +626% entre  1980 et  2009 – source Insee). 

Oui,  vous avez bien lu, +143% et +626% !

 

C’est bien cela qui est la question aujourd’hui, comme nous le disons également dans  la motion que le Conseil  Municipal  de ma commune a adoptée sur  la « réforme  des  retraites »  le  18  novembre  dernier.  «

 

Seule  une  meilleure répartition des richesses entre travail et capital, combinée au développement de l’emploi  qualifié  et  rémunéré  à  sa  juste  valeur permettra  de  répondre efficacement à l’enjeu du financement de notre modèle de protection sociale et de préserver  cet  acquis précieux et  libérateur.

 

Ces objectifs ne peuvent  être atteints que par désintoxication de l’économie de « financiarisation », à laquelle la majorité parlementaire qui a approuvé la loi objet de cette motion, majorité qui remet en cause toutes les avancées sociales obtenues par le peuple de France tout au long du XXème siècle, refuse de s’attaquer ». Fin de citation.

 

Avec,  évidemment,  une raison supplémentaire,  bien connue également et  que j’illustre souvent en citant une phrase prononcée par  Jean-Paul Delevoye, à la tribune du Congrès des Maires de France dont il était alors le Président, voici 15 ans déjà,  au moment  où l’on commençait  à évoquer  la « réforme de la taxe professionnelle ».

 

______________________________________________________

La colère gronde

______________________________________________________


Parlant  de  « l’asphyxie  de  la  dépense  publique »,  il déclarait  que

« la raison principale en est  qu’au moment  où l’économie était rurale, la richesse comme la fiscalité étaient attachées à la propriété foncière.

 

Au 19ème et au 20ème siècle,

l’économie est devenue industrielle : la richesse  comme  la  fiscalité  ont  été  adossées  au  capital  et  à  la  main d’œuvre (les salaires).

 

Aujourd’hui, la richesse est tout autant de services et financière.

Or, cette sphère est notoirement sous fiscalisée ».

 

Faut-il faire un commentaire ? Sinon que la réalité est là.

 

En 15 ans, les chiffres ci-dessus en attestent :

non seulement la situation n’a pas été redressée, vous le constatez,

mais le transfert de la répartition du résultat de la richesse produite a considérablement  « glissé vers le capital », 

alors que,  de plus, cette partie est restée notoirement « sous fiscalisée ».

 

C’est ce que je me suis permis de rappeler jeudi après-midi lors de cette séance du Congrès.

 

Car quand bien même, s’il n’y en avait, dans tous ces chiffres, que deux ou trois à retenir, c’est bien ces

120 à 170 milliards d’euros qui ont ripé en un quart de siècle du travail vers le capital, c’est-à-dire plus de 10 fois le déficit de la sécurité sociale, et 20 fois celui des retraites.

 

Or, « ce découplage », oui, pourrait  faire  monter  un  « ressentiment  aux  États-Unis »,  comme  ailleurs, « contre le capitalisme et le marché »

 

Il  avait  raison,  Monsieur  Alan   Greenspan :  aujourd’hui,  la colère monte,  en France, en Grèce, en Irlande bien sûr, mais généralement en Europe, et ailleurs. »

Maxime Camuzat

Nota:  cette séance du Congrès de l’AMF a été retransmise en direct  par  la chaîne de télévision Public Sénat. Vous la trouverez actuellement en ligne sur le lien suivant:

http://www.publicsenat.fr/vod/evenement/finances-locales-2010,-l-annee-de-tous-leschantiers/67369

avec  notamment  l’intervention de Marie-France Beaufils,  Sénatrice,  Maire  de Saint-Pierre-des-Corps, et la prise de parole depuis la salle de Maxime Camuzat.                                                                                           

Article vu 5 627 fois
1 étoile2 étoiles3 étoiles4 étoiles5 étoiles (Pas encore de votes)
Loading...

3 Commentaires sur

À propos des « déficits publics que l’on ne peut léguer à nos enfants »

  • LAURENTNo Gravatar |

    d’accord, ça gronde; on n’est pas content, ni ici ni là, à la Réunion, en France, en Europe, au Brésil etc.
    c’est bien de le dire, c’est bien d’expliquer, il le faut, mais est-ce qu’on va trouver le moyen pour que ça aille mieux?
    dans un monde régi par le fric, quels sont les armes des gens? le bulletin de vote, ça ne suffit pas, les manif », pas sûr que ça soit utilie, alors, quoi?

  • ArsinoéNo Gravatar |

    on ne peut pas léguer des déficits, pas plus qu’on ne peut léguer une planète au bord de l’asphyxie,
    on peut réagir, et peut être, ensemble, sauver l’essentiel
    En revanche, je ne suis pas sûre que l’on puisse leur léguer une bonne « image » de ce que nous sommes: nos enfants sont influencés par notre comportement (consommation, par exemple, incivilités en voiture etc.) mais surtout on leur lègue en partie notre attitude: soit la passivité (et malheureusement, c’est assez répandu), soit la faculté d’être toujours des insoumises, des rebelles, des femmes (et des hommes) qui peuvent s’insurger, qui sont en constante vigilance, qui peuvent, qui osent, qui savent dire non.
    mais combien sommes-nous dans ce dernier cas?
    donc outre le « matériel » (et ce n’est pas péjoratif) on leur lègue une façon d’être et de voir le monde… c’est à mon avis tout aussi grave

  • ùXBäNo Gravatar |

    @ Arsinoé je suis d’accord avec toi , le pire que nous puissions léguer à nos enfants serait un comportement indigne ou résigné….
    pour le reste , la dette n’est pas si terrible en rapport au patrimoine de notre pays , ce n’est que …de l’argent ! Le désastre viendrait si nous laissions détruire le plus important de tous , le patrimoine humain créatif…
    Mais nos enfants sont bien plus intelligents que nous , ils trouveront les solutions !

Vous avez une opinion ? Laissez un commentaire :

Nom *
E-Mail *
Site Web