Économie : les pauvres sont plus taxés que les riches

 

Le journal Sud-Ouest, sous la plume de Bernard Broustet, a publié une intéressante interview de Thomas Piketti. 

 

Thomas Piketty a été le premier directeur de l’École d’économie de Paris avant de s’engager, en 2007, dans la campagne électorale présidentielle de Ségolène Royal.  

 

Le journal en souligne l’intérêt en exposant le raisonnement des auteurs du livre choc, « Pour une révolution fiscale ».

 

« En additionnant impôts et taxes, deux économistes de gauche montrent que les pauvres paient plus que les riches.

Ils proposent une réforme de la CSG et de l’ISF.

 

L’impôt pris au sens large (TVA, CSG et cotisations sociales comprises) pèse proportionnellement plus sur les pauvres que sur les riches.

 

L’impôt sur le revenu est en ruine.

Il faut le refondre dans une CSG à taux progressif, et maintenir l’ISF.  

Le tout sans augmenter la part globale des prélèvements obligatoires, évaluée à 49 % du revenu national.

 

Ces thèses chocs sont développées par les économistes Camille Landais, Thomas Piketty et Emmanuel Saez, dans « Pour une révolution fiscale » (éditions du Seuil).

 

Pour « Sud Ouest Dimanche », Thomas Piketty, qui ne cache pas ses sympathies pour la gauche tout en se désolant du manque d’audace des grandes figures du PS dans ce domaine,  justifie ces propositions. »


. « Sud Ouest Dimanche » : Pourquoi vouloir une réforme si profonde ?


Thomas Piketty : « La France a un haut niveau de service public et de protection sociale.

Ces choix ne doivent pas être remis en cause, mais ils pèsent lourd – une petite moitié du revenu national.

 

Ce niveau de prélèvement ne peut être supportable que s’il est juste.

 

Or, si l’on fait le compte de tous les impôts cotisations, on s’aperçoit que les 50 % des Français les plus modestes, gagnant entre 1 000 et 2 200 euros subissent un taux de prélèvement effectif moyen de 45 %.

 

Pour les 5 % de revenus supérieurs à 6 900 euros, ce taux décroît au fur et à mesure que les ressources s’élèvent.

Il ne dépasse guère 35 % pour les 0,1 % de Français les plus riches.

 

Au lieu d’être progressif, ce système est régressif.

Il faut y mettre bon ordre. »


. « Sud Ouest Dimanche » : Pourquoi supprimer l’impôt sur le revenu ?


Thomas Piketty : « Cet impôt, en principe progressif et redistributif, a été vidé de sa substance.

 

Il rapporte près de deux fois moins que la CSG, qui sous sa forme actuelle est proportionnelle aux revenus, et plus de quatre fois moins que la masse des impôts indirects, dont la TVA.

 

Or, celle-ci pèse plus lourd sur le budget de ménages pauvres, puisque la part des revenus affectée à la consommation est en moyenne pour eux plus importante que pour les riches. »


. « Sud Ouest Dimanche » : Pourquoi l’impôt sur le revenu a-t-il ainsi décliné ?


Thomas Piketty : « D’une part, les taux d’imposition ont subi de multiples baisses successives depuis vingt ans.

Surtout, cet impôt a été mité au fil des années par une kyrielle de niches fiscales.

 

Dans une large mesure, les revenus de l’épargne, surtout concentrés dans les ménages aisés, bénéficient de régimes dérogatoires.

Cet impôt est devenu injuste et totalement illisible.

 

Il est mité parce que plus personne n’ose y toucher autrement qu’en le baissant davantage.

Il n’est plus sauvable. »


. « Sud Ouest Dimanche » : Que mettre à la place ?


Thomas Piketty : « Il faut étendre et réformer la CSG, qui doit continuer à être prélevée à la source car cela est un facteur d’efficacité et de simplicité.

 

Nous souhaitons que son assiette soit très large, c’est-à-dire qu’elle s’applique au pourcentage le plus élevé possible de revenus du capital et du travail.

 

Mais, à la faveur de sa fusion avec l’impôt sur le revenu, nous proposons qu’elle devienne progressive, ce qu’elle n’est pas aujourd’hui.

 

Nous suggérons un barème aux termes duquel, par exemple, les personnes ayant des ressources mensuelles de 1000 euros s’acquitteraient de 2 % de leurs revenus.

 

À 2 000 euros par mois, ce serait 10 %.

Celles qui touchent 10 000 euros paieraient 25 %.

Le taux maximum de 60 % s’appliquerait à partir d’un revenu individuel de 100 000 euros.


. « Sud Ouest Dimanche » : Par rapport à la situation actuelle, impôt sur le revenu + CSG, quel serait l’impact de la réforme sur le pouvoir d’achat des ménages ?


Thomas Piketty : « Jusqu’à 6 000 euros de revenus mensuels, elle se traduit par de légers gains de pouvoir d’achat.

Au-delà de 8 000 euros, la ponction augmente.

Le prélèvement s’alourdit par exemple de 5 % à 14 000 euros, et de 10 % pour les personnes gagnant plus de 40 000 euros. »


. « Sud Ouest Dimanche » : Pourquoi supprimer le quotient conjugal, c’est-à-dire le fait que les couples pacsés ou mariés fassent une même déclaration, avec un système de parts ?


Thomas Piketty : « Ce système ne correspond plus à l’état de la société.

Le fisc n’a pas à se préoccuper de savoir si vous êtes mariés, pacsés, concubins ou célibataires, si vous vous êtes séparés dans l’année, etc.

Et puis, ce système contribue à dissuader une partie des femmes de mener une carrière plus lucrative.


. « Sud Ouest Dimanche » : Pourquoi maintenir l’ISF ?


Thomas Piketty : « C’est un impôt moderne assis sur des valeurs aussi proches que possible de la réalité.

 

Sur ce plan, il est beaucoup plus juste, par exemple, que la taxe foncière, très variable selon les communes et assise sur des valeurs cadastrales souvent sans lien avec la valeur de marché.

 

Au surplus, pour l’ISF, l’endettement est déduit, ce qui n’est pas le cas pour la taxe foncière.

Nous sommes les seuls en Europe à pratiquer l’ISF.

 

Mais on constate que, dans d’autres pays, les taxes foncières sont généralement plus lourdes qu’en France. Est-ce mieux ?

 

Il nous semble donc pertinent de maintenir l’ISF, mais à un taux beaucoup plus faible, en y intégrant l’outil de travail, et avec un seuil d’exonération de 1,5 M€ de patrimoine, soit à peu près le double de ce qu’il est aujourd’hui. »

Source : Sud-Ouest et Désirs d’avenir

                                                                                                                                                                                                                                                                                             

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3 Commentaires sur

Économie : les pauvres sont plus taxés que les riches

  • HortensiusNo Gravatar |

    Puisqu’il est question là des recettes de l’Etat, allons vers une « mobilisation générale » de l’opinion pour imposer la taxation sur les mouvements spéculatifs de capitaux, sur la prolifération des produits financiers qui « cancérise » l’économie et la société des travailleurs, créateurs des vraies richesses ? Le potentiel en termes de ressource financière est énorme, même avec des taux de prélèvement hyper-modestes !

  • Jean-JacquesNo Gravatar |

    une seule solution la revolution comme en Egypte ou en Tunisie
    et vivement 2012

  • ùXBäNo Gravatar |

    la taxation des mouvements purement spéculatifs
    « taxe tobin »? plus une interdiction des achats
    spéculatifs sur les matières premières en imposant
    une garantie financière de toute opération d’achat
    seraient les mesures de base pour influer sur les
    mouvements chaotiques des marchés et aussi envoyer
    un message d’espoir aux forces vives que tout n’est pas irrémédiablement condamné…
    les dirigeants planétaires ont semble-t-il du mal
    à comprendre qu’une société humaine ne fonctionne bien que lorsque le moral y est bon !

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