Situation budgétaire alarmante des départements : en prend-on la mesure ?

collectivités locales taxe budget recettes fiscales droits de mutation Marianne fiscalité démocratie J’ai souvent eu l’occasion de faire état de la difficulté que rencontre le Département de La Réunion pour faire face à ses responsabilités budgétaires du fait des mesures de rigueur imposées par les gouvernements, de droite comme de gauche.

Il s’est toujours trouvé certains commentateurs, mais surtout certains politiques, pour exprimer leur pessimisme devant cet état de fait, encourageant le gouvernement dont ils se revendiquent, parfois après avoir eu une position contraire lorsqu’ils étaient dans l’opposition au gouvernement en place, à poursuivre dans cette démarche.

J’aurais compris leur position s’ils avaient formulé des propositions de solutions pour « encaisser » ce régime d’austérité gouvernementale. Hélas, ce n’a pas été le cas.

A la veille de rendez-vous électoraux pour le renouvellement complet des élus au Département, il me paraît opportun de vous faire partager une intervention du sénateur Christian Favier, sénateur membre du groupe CRC (Communiste, républicain et citoyen), et président du Conseil général du Val de Marne.

J’évoquerai deux raisons :

– d’une part, cette intervention donne raison à la présidente du conseil général de La Réunion Nassimah Dindar, qui n’a eu de cesse d’alerter l’opinion et le gouvernement de quelque tendance politique, notamment à l’occasion des rendez-vous du vote du budget, sur la situation alarmante du fait des mesures imposées aux départements ;

– d’autre part, cela devrait conduire les électrices et les électeurs à être méfiants devant les promesses faites par des candidats qui se gardent bien de dire comment ils vont pouvoir réaliser celles-ci, compte tenu de l’absence de marge budgétaire qui n’existe déjà plus.

Situation budgétaire des Départements – Intervention de Christian FAVIER

Monsieur le Président,
Monsieur le Ministre,
Chers collègues,


La situation financière des Départements, mérite bien un débat au Sénat, tant elle est aujourd’hui alarmante.
C’est un sujet majeur pour les habitants, l’activité économique, les territoires.

Depuis des années, les élus locaux avec leurs associations – l’Assemblée des Départements de France notamment – ne cessent de dénoncer « l’effet ciseaux » généré par l’écart croissant entre les dépenses et les recettes budgétaires.

Depuis des années, l’Etat – contrairement à l’esprit des dispositifs de décentralisation – ne compense plus intégralement les transferts de compétence. Dans le même temps, les dispositions initiées par les différents gouvernements n’ont cessé de réduire l’autonomie financière des collectivités, particulièrement celle des Départements… au point de les enfermer dans un carcan qui les fragilise durablement.

Aujourd’hui, la contribution de 11 milliards d’euros imposée aux collectivités territoriales dans le cadre du plan de réduction de 50 milliards de la dépense publique, s’ajoutant aux réductions déjà décidées en 2014 (1,5 milliard), conduit tout particulièrement les Départements dans une impasse financière généralisée.

Les études, évaluations, projections menées récemment- que ce soit à l’initiative de nos collègues de la « Délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation » fin 2014, ou de l’ADF début 2015 – pour ne citer qu’elles, en attestent : toutes constatent les détériorations déjà visibles, et évoquent, démonstrations à l’appui, des situations financières « insoutenables » à court terme.

D’ores et déjà, certains Départements ou communes, ne sont pas encore parvenus à équilibrer leur budget 2015, ou le font au prix d’une remise en cause drastique de services publics utiles aux habitants.

Dans ce contexte de régression des dotations de l’Etat les Départements sont particulièrement touchés, par  la conjonction de 3 facteurs :

1 – D’abord citons l’évolution des Allocations Individuelles de Solidarité (AIS) dont l’Etat a confié aux Départements la charge sans qu’ils ne disposent d’une quelconque marge de manœuvre, puisque ces allocations relèvent de normes nationales.

Parmi elles, le Revenu de Solidarité Active (RSA) connaît une évolution considérable –suivant celle du chômage – tandis que se creuse davantage encore l’écart entre leur montant et les compensations financières de l’Etat.

Comme en témoigne l’Observatoire National de l’Action Sociale (ODAS),  la croissance de la charge nette pour les Départements de l’allocation RSA est saisissante  « Concrètement (je cite), la charge restant à financer par les Départements après compensation de l’Etat s’élève à 2,3 milliards d’euros en 2013, alors qu’elle était de 1,5 milliards d’euros l’année précédente ».

Nous ne disposons pas encore des données nationales 2014. Mais dans le Val-de-Marne l’an dernier, le versement du RSA a connu une augmentation de 17 millions d’euros (+ 8,36%) passant de 192 M€ à 209M€; l’écart entre les allocations versées et les compensations de l’Etat y dépassant les 90 M €.

Au total, le montant cumulé annuellement des non compensations de l’Etat aux AIS, y atteint la somme de 672 M€ – soit le même ordre de grandeur que l’encours global de notre dette…

2 – Deuxième facteur de tension : une part non négligeable des recettes des Départements relève de ressources fragiles car dépendantes de la conjoncture, et de surcroît difficiles à anticiper. Il s’agit des Droits de mutation, de la Taxe d’Aménagement, et de la CVAE.

Cette dernière, créée en remplacement de la taxe professionnelle, s’avère particulièrement inéquitable et imprévisible.

Inéquitable à l’égard des entreprises elles-mêmes, car si elle a très peu bénéficié aux PME/TPE, elle a permis une économie globale de quelque 6 Milliards d’euros dont ont principalement bénéficié les grandes entreprises…

Inéquitable à l’égard des territoires, car inégalement répartie, elle représente selon les Départements un apport de 37 à 400 € par habitant… soit un rapport de 1 à 10 !

3  – Enfin, les diverses réformes intervenues ont progressivement privé nos Départements de leur autonomie fiscale. C’est particulièrement marquant depuis la réforme de la taxe professionnelle en 2011 ; ils ne disposent désormais plus que du levier du taux de la Taxe Foncière Bâtie.

Aujourd’hui donc, une grande partie des Départements est en grande difficulté budgétaire, y compris pour assumer leurs seules compétences obligatoires.

Il est urgent de réorienter les choix qui président à ces dangereuses évolutions annoncées.

Car tout cela conduit à quoi ?…

Certainement pas à un redressement des comptes publics de la Nation : la réalité démontre que les coupes sombres déjà opérées sur les finances des collectivités n’ont pas empêché la dégradation des finances publiques et de la dette …

Certainement pas à une amélioration des finances des collectivités : celles-ci faut-il le rappeler sont globalement saines, leur budget obligatoirement équilibré, et leur endettement à ce jour est marginal par rapport à celui de l’Etat. En revanche, leurs lourdes contraintes budgétaires tendent à dégrader rapidement leur taux d’épargne brute et leur capacité de désendettement, les menant au risque de surendettement et de déséquilibre…

Cela ne conduit pas plus à une amélioration de la situation économique : actuellement, la plupart des collectivités se trouvent dans l’obligation de réduire, non seulement l’emploi public, mais aussi l’investissement, impactant gravement l’activité du BTP notamment, où des centaines de milliers d’emplois sont en jeu.

Enfin, tout cela ne favorise pas le déploiement et l’efficacité des services publics de proximité : l’augmentation du chômage, de la précarité, la dégradation du pouvoir d’achat de nombreuses familles, mais aussi l’ampleur des besoins sociaux… appellent non pas des réductions de services, mais davantage de solidarité, d’initiatives et d’innovation publique.

C’est donc bien la question d’une réorientation radicale des choix politiques et budgétaires qui est posée, pour préserver les capacités d’action de nos Départements, dont peu de monde aujourd’hui conteste l’utilité sociale et économique.

On ne saurait pour cela se satisfaire d’ajustements financiers conjoncturels ou de dispositifs de péréquation visant à faire payer les moins pauvres pour les plus pauvres… Ce sont des actions structurelles qui s’avèrent nécessaires.

Ainsi, le RSA constitue pour les Départements une charge financière particulièrement lourde. En même temps, ceux-ci n’apportent pas de plus-value ni de visibilité à ses bénéficiaires. Dès lors, pourquoi l’Etat n’en reprendrait-il pas intégralement la gestion ?…

Côté recettes, la redéfinition d’un impôt économique plus juste et plus transparent pourrait être engagée. Encourageant l’emploi et le développement solidaire des territoires, il pourrait être modulé en fonction de la masse salariale et de la valeur ajoutée de l’entreprise.

Par ailleurs, le principe de la libre administration des collectivités appelle le rétablissement de leur autonomie fiscale.

Enfin, rappelons que les contraintes imposées aux collectivités pourraient être largement compensées par des dispositifs de justice fiscale, parmi lesquelles l’instauration d’une taxe de 0,5 % sur les actifs financiers (30 Md€).

D’autres propositions mériteraient d’être travaillées, mais quoiqu’il en soit, elles dépendent de choix d’orientation politique totalement opposés :

Soit l’Etat s’acharne – sous la pression de la Commission de Bruxelles – à s’inscrire dans le processus dévastateur de réduction de la dépense publique … Et, dans ce cas, il confortera le système actuel continuant à peser fortement sur les Départements pour les obliger à sacrifier leurs politiques publiques, malgré quelques mesurettes marginales.

Soit s’affirme la volonté, responsable mais résolue, de faire de l’action et des investissements publics des leviers de la relance économique, de la satisfaction des besoins humains et du développement des territoires.

Cette orientation suppose l’existence de collectivités de proximité fortes et reconnues dans leur existence, leurs compétences et leurs ressources.

C’est particulièrement vrai pour les Départements, dont les missions sont au cœur des cohésions sociales et territoriales.

Notre groupe s’inscrit avec détermination dans cette deuxième hypothèse.

 

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