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2011
Programme présidentiel du Front de Gauche (10/15) – Vers un bouclier douanier ?
Catégorie : OUTRE MERS, Présidentielles 2012
Comme je l’ai fait pour le programme « national » du Parti socialiste, puis le programme socialiste pour les outremers, je poursuis l’analyse des projets des candidats à l’élection présidentielle en abordant aujourd’hui, le programme du Front de Gauche et de Jean-Luc Mélenchon, candidat du Parti Communiste Français.
Le 2° axe du programme du Front de Gauche « Pour le développement endogène et le progrès humain des outremers » comporte cette proposition « audacieuse » :
« protéger les économies locales par un bouclier douanier : Préserver l’octroi de mer et renforcer la protection commerciale des productions locales (taxe kilométrique pour promouvoir les productions locales, privilégier les importations à faible empreinte écologique, préférence commerciale pour les produits d’outre-mer en métropole et en Europe, partenariats commerciaux avec les voisins régionaux : Venezuela et Cuba pour les Antilles, Inde et Afrique du Sud pour La Réunion, Saint-Pierre et Miquelon avec le Québec) ».
La préservation du dispositif d’octroi de mer figure dans le projet socialiste. C’est aussi, d’après leurs déclarations, une préoccupation des élus UMP. Elle fait donc consensus.
Reste néanmoins à convaincre l’Europe de la maintenir, et à faire comprendre aux pays ACP (qui réclament sa suppression), que cela génèrerait des difficultés considérables pour les régions d’outre-mer françaises.
Le Front de Gauche va même plus loin, puisqu’il propose d’instaurer une taxe kilométrique pour promouvoir les productions locales.
La partie n’est pas gagnée, pour les mêmes raisons que pour le maintien de l’octroi de mer, jugé « illégal » car faussant les règles de commerce.
Cette taxe frapperait tous les produits intrants et sera variable en fonction du kilométrage parcouru par le produit avant son arrivée sur le territoire.
Cela aurait peut être comme avantage de modifier les marchés d’approvisionnement. En effet, on pourrait faire entrer des produits venant de la zone océan Indien, à des coûts moindres, du fait de la distance (et du coût de production).
L’idée de privilégier des produits à faible empreinte écologique est de la même veine : plus la distance à parcourir est longue, plus l’empreinte est importante.
A noter que depuis le 1er juillet, des étiquettes environnementales ont fait leur apparition sur plus de 1.000 produits courants, afin d’informer le consommateur de leur empreinte écologique. Tout du moins en France.
Mais s’arrête là la vocation « écologique » de la proposition. En effet, l’empreinte écologique d’un produit venant de La Réunion à destination de la France est la même que pour un produit venant de France (ou d’Europe) pour arriver à La Réunion.
Ce n’est donc pas la vocation « écologique » qui est visée, mais bien l’ouverture – ou la confirmation – de débouchés pour les productions locales.
Rappelons ce qu’écrivait l’INSEE :
« La politique dite « d’import substitution » menée après la départementalisation semble avoir atteint ses limites et les parts de marché des entreprises locales n’évoluent guère sur la période observée (2000/2007).
Le secteur industriel ne satisfait que la moitié des besoins locaux. Les entreprises réunionnaises ont aussi de fortes difficultés à exporter du fait des faibles revenus des pays avoisinants et de barrières douanières importantes.
La taille réduite du marché, la concurrence extérieure et l’éloignement constituent autant de handicaps économiques ».
L’institut poursuivait :
« Sur la période 2000/2007 la production locale de biens destinée au marché réunionnais a progressé au même rythme que les importations.
Les parts de marché varient fortement selon les secteurs. Selon les produits, la part de production locale varie de 100% pour certains services à 0% pour les produits comme le carburant dont l’offre est intégralement importée. »
On peut classer les produits selon la valeur de leur part de production locale :
– Les produits issus intégralement de la production locale tel que l’eau, l’électricité et le BTP :
Il n’y a pas de concurrence par les imports pour ces activités du fait de leur nature.
Si la production même est locale, il peut tout de même y avoir une participation d’entreprises extérieures à travers la procédure des appels d’offre (BTP, eau, ordures…).
– Les produits pour lesquels la part de la production locale est fortement majoritaire :
Il s’agit de l’industrie du sucre et du rhum (dont la part de production locale atteint 94% globalement, avec 82% pour le sucre et 99% pour le rhum).
La sylviculture (94%), l’agriculture (84%), la pêche et l’aquaculture (74%), et l’industrie des produits minéraux (74%), tirent aussi leur épingle du jeu dans la concurrence avec les imports.
– Les produits pour lesquels la part de la production locale est faiblement majoritaire :
Pour ces produits, la concurrence avec les imports est plus vive.
Il s’agit des industries des viandes et du lait avec 63% de production locale et des autres industries agroalimentaires (notamment les boissons…) avec 54% de production locale.
– Les produits pour lesquels la part de la production locale est très minoritaire :
Il s’agit des biens intermédiaires (30%), des biens d’équipement (24%) malgré leur développement rapide ces dernières années et des biens de consommation (22%).
Ces industries produisent seulement 6% de la production marchande de La Réunion.
Parmi ces industries, deux exceptions cependant : les produits de l’édition qui sont produits à 70% localement et les biens d’équipement mécaniques qui sont produits à 50% localement.
– Enfin, les produits pour lesquels il n’y a pas de production locale et parmi eux les carburants.
En croisant ces informations et la proposition du Front de Gauche, l’idée est donc de renforcer la production locale de viande, lait, et plus généralement, l’agroalimentaire.
Mais outre la question de leur provenance, il faudrait aussi se pencher sur la question des marges réalisées à chaque niveau de la chaîne.
C’est vrai pour la production locale et tout aussi vrai pour l’importation.
encore un bouclier: après le bouclier fiscal de l’UMP le bouclier douanier du Front de gauche: un peu guerrier tout ça.
ce bouclier douanier: est-ce vraiment la meilleure solution? de plus, est-elle juridiquement possible?
en revanche, l’idée de privilégier les importations des pays proches est plus réaliste… même si elle va poser un problème juridique au niveau européen
Encore une fois, il faut comprendre que les négociations internationales avec les pays tiers et les ACP sont menées par la Commission Européenne qui représente l’ensemble de l’Union et que le gouvernement français, comme les autres gouvernements nationaux,n’est pas censé intervenir directement.
L’idée de la « taxe kilométrique » n’est pas nouvelle et a déjà été suggérée, par exemple, par le gouvernement autonome des Canaries, mais évidemment sans obtenir l’aval de la commission bruxelloise.
La Commission prendra-t’elle réellement en cause les intérêts des Régions Ultrapérihériques dans les négociations internationales ? Le Sénat français a récemment émis de sérieuses appréhensions (cf. le Rapport Marsin qui dénonce « les effets potentiellement dévastateurs sur les agricultures ultramarines des accords actuellement en instance »).