Le Blog de Pierre VERGÈS

Les zones « péri-urbaines », ces grandes banlieues pavillonnaires où vivent plus de 14 millions de Français !

On est mercredi, jour de sortie de Télérama, l’un des hebdomadaires préférés de beaucoup de nos auditeurs, alors je vais vous parler de « Contre Télérama », un petit livre d’une soixantaine de pages, à paraître demain aux éditions Allia, il est signé de l’anthropologue Eric Chauvier.

Une réaction à un grand dossier paru dans Télérama il y a presqu’un an, encore consultable sur Internet et intitulé « comment la France est devenue moche ».

Dans la ligne de mire de l’hebdomadaire, ces fameuses zones « périurbaines », qui se sont multipliées à la faveur de la décentralisation et alors que la voiture prenait toute sa place dans les modes de transport.

Des zones d’habitat horizontal, que Télérama comparait à des « métastases », où règnent les hangars, abritant des hypermarchés, des enseignes d’ameublement, où disparaissent les fermes et les bois alors que les lotissements poussent comme des champignons !

Et pour irriguer tout cela, il faut des routes, encore et toujours.

En quarante ans, la surface occupée par les autoroutes en France est passée de 200km à bientôt 12 000 km !

C’est soixante fois plus !

Et c’est la France moche, pour Télérama.

Eric Chauvier nous explique combien les habitants de ces zones péri-urbaines, dont il fait partie, ont été blessés par cet article, mais la vision que lui-même nous donne de l’endroit où il vit est extrêmement sombre.

Il nous décrit des zones d’habitat quadrillées par de grandes avenues impersonnelles, dont l’animation est réglée sur les flux de véhicules, heures de pointes, heures creuses, où l’on évite de parler politique avec les gens qu’on rencontre,

il vaut mieux parler voiture, prix du kilo de tomates ou parcours de footing…

un univers où tout le monde fait les mêmes choses au même moment, achète les mêmes articles,

est ébranlé par les mêmes peurs et va dans les mêmes salles des fêtes et autres médiathèques…

une « standardisation de l’existence, écrit l’auteur, que nous ne pouvons pas tirer de son néant mutique »…

des villes sans bruit, le soir, où l’on ne sait plus ce qu’est le rapport à la nature.

Des riverains caillassent un âne, parce qu’il braie la nuit, dans le jardin de la ferme où il a toujours vécu… sauf que cette ferme est désormais entourée d’immeubles d’habitation…

« quelque chose est mort en nous, une part inatteignable », nous dit Éric Chauvier.

« La vie périurbaine, ajoute-t-il -son atmosphère ordinaire-, est semblable à une épaisseur de neige tombée sur nos pavillons, insonorisant toute forme de vie qui pourrait s’en échapper mais cloisonnant la vie singulière de chacun de ses habitants, comme les agissements de putains dans un bordel ».

Et malgré ce constat plus qu’amer, Eric Chauvier en veut beaucoup à Télérama.

D’abord parce qu’il avertit que de plus en plus de Français vont vivre dans ces zones périurbaines…

plus abordables pour les ménages modestes que les centres-villes…

ensuite parce que derrière le beau ou le laid des infrastructures, il y a des êtres humains…

il y a quand même la vie… avec son « potentiel de fiction ».

Fictions insondables et jamais sondées !

Et puis surtout ce que reproche Éric Chauvier aux « observateurs professionnels », c’est un « jugement de classe, un mépris intolérable »… de « journalistes centralisés » décrétant la limite entre le beau et le laid.

© Audrey Pulvar

Références bibliographiques :

Contre Télérama de Eric CHAUVIER (Editions Allia, paru le 6 janvier 2011)

La ville franchisée : formes et structures de la ville contemporaine par David MANGIN (Editions de la Villette, paru en 2004)