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2012
Contribution au débat – Économie en crise – Joseph Stiglitz : « L’Europe a en réalité créé une devise étrangère »
Catégorie : ÉCONOMIE
À l’heure où la majorité socialiste au Parlement décide de voter la ratification d’un traité pourtant voué aux gémonies quand les socialistes étaient dans l’opposition, il est instructif de lire l’interview de l’éminent économiste Joseph Stiglitz paru dans Le Journal du Net.
Les politiques de relance keynésienne de 2008, en faisant s’envoler les dettes publiques au point de rendre leur remboursement hypothétique, ne sont-elles pas les vraies responsables de la crise de la dette ?
Non, c’est n’importe quoi.
Les dettes n’ont pas engendré la détérioration de l’économie, c’est le contraire.
Les États-Unis ont davantage augmenté leur dette que l’Europe or, qu’est-il arrivé aux taux d’intérêt ? Ils sont nuls.
En revanche, il est vrai que la zone euro présente des défauts fondamentaux qui ont été exposés lorsque les dettes ont augmenté.
La vraie question est la même que celle observée dans les pays en développement.
Si vous empruntez en devises étrangères, alors vous avez un problème.
A contrario, les Etats-Unis empruntent en dollars et peuvent contrôler leur monnaie.
L’Europe a en réalité créé une devise étrangère.
L’Espagne emprunte dans une devise qu’elle ne contrôle pas ; elle est contrôlée à Francfort.
C’est le problème fondamental.
De ce point de vue, l’Espagne ressemble à un pays en voie de développement.
Ce qui s’y passe n’a absolument rien à voir avec la dette puisque le pays disposait d’un budget en excédent avant la crise et son ratio dette/PIB est relativement raisonnable.
Mais l’Espagne est en dépression.
Et qui garantit les banques ? Le gouvernement.
Or, préfère-t-on placer son argent dans une banque soutenue par le gouvernement espagnol ou par le gouvernement allemand ?
Évidemment le gouvernement allemand.
Donc l’argent va dans les banques allemandes ce qui affaiblit les banques espagnoles qui ne peuvent prêter.
Donc l’économie se dégrade.
Ce qui augmente la dette.
Quelles sont les trois mesures d’urgence qu’il faudrait adopter pour sortir la zone euro de la crise ?
D’abord la mutualisation de la dette.
Elle peut prendre des formes diverses : euro bonds, prêts de la BCE, etc.
Ensuite la mise en place d’un système bancaire européen.
Sans cela, l’argent échappera aux pays pauvres pour se réfugier dans les pays riches.
Ce sont deux conditions absolument nécessaires.
Enfin, l’Europe doit disposer d’un cadre qui lui permette de faire face à des chocs à court terme et d’assurer une véritable convergence à long terme.
Lorsque la zone euro a été créée et les critères de convergence discutés, il était admis par tous qu’il suffisait de maintenir le déficit budgétaire en dessous de 3% du PIB.
C’est n’importe quoi.
La convergence est bien plus complexe que cela.
Pensez-vous que la dette de la Grèce doit être effacée. Si oui, qui doit payer, sachant qu’elle est en réalité détenue par de petits épargnants via des mécanismes de fonds de pension ou d’assurance-vie ?
Depuis 150 ans, nous reconnaissons la responsabilité des créanciers face à l’évaluation des risques.
La faute est autant imputable aux créanciers pour avoir trop prêté qu’aux débiteurs pour avoir trop emprunté.
Un système économique ne peut fonctionner que s’il y a possibilité de bénéficier d’un nouveau départ, en l’occurence une restructuration de la dette, c’est-à-dire une faillite dans le secteur privé.
Lors de ce processus, les pertes des créanciers devraient être minimes.
Car en règle générale, lors de tels placements avec un gros risque de défaut, les taux d’intérêt sont plus élevés et les retours sur investissement également.
Donc, en moyenne, ces retours compensent largement la perte lors d’un défaut.
Dans le cas précis de la Grèce, il faudrait sans doute renflouer les particuliers qui risquent d’être touchés.
Mais je suis ni trop inquiet, ni trop peiné pour les fonds de pension ou d’assurance-vie car ils auraient dû surveiller les cours.
On ne va pas de AAA à F du jour au lendemain.
Ils n’avaient aucune raison de conserver ces actifs.
Certains pays, comme la Grèce, devraient-ils quitter la zone euro ?
Ou alors c’est à l’Allemagne de partir…
L’euro serait moins cher et l’Europe plus compétitive.
Le « business model » de l’État-Nation, à savoir prélever des impôts sur les activités réalisées sur son territoire, est-il encore tenable ? Comment prendre en compte Internet, le commerce mondial, de la mobilité des travailleurs ?
C’est encore tenable mais la mondialisation a rendu la tâche plus difficile de deux façons.
D’abord, il devient plus compliqué d’identifier où est véritablement réalisée l’activité économique d’une entreprise.
Ensuite, il faut déterminer si cette activité a lieu pour des raisons économiques ou fiscales.
Aujourd’hui, le cadre utilisé à l’international s’appelle le système de prix de transfert.
Afin de déterminer l’activité réalisée dans un pays, vous observez la valeur des biens exportés et celle des biens importés, la différence étant la valeur ajoutée dans votre pays.
Le problème, lorsqu’on a affaire à de grands groupes, c’est que les biens ne sont pas forcément vendus dans leur lieu de production.
Une étape de la production peut donc avoir lieu en Irlande, puis les biens sont expédiés aux Etats-Unis puis ailleurs, tout cela au sein d’une même entreprise.
Les entreprises doivent donc « fabriquer » des prix, appelés prix de transfert.
Seulement, elles le font de sorte à montrer des profits là où les impôts sont faibles et des pertes là où ils sont élevés.
Ceci signifie que la valeur enregistrée n’a aucun lien avec la valeur ajoutée.
Certaines compagnies pharmaceutiques prétendent que la valeur ajoutée de leurs produits a lieu en Irlande à cause du faible taux d’imposition, or leurs revenus se font aux Etats-Unis.
Nous avons donc besoin d’un cadre légal international qui puisse prévenir ces deux sortes d’évasion fiscale.
Et c’est possible.
Les États comme New York ont donc abandonné le système du prix de transfert et ont opté pour ce que l’on appelle une approche normée : si l’on s’aperçoit que 80% de vos employés, 80% de vos machines, 80% de vos ventes et 80% de vos profits ont lieu dans l’Etat de New York, alors on estime que 80 % de vos profits sont à New York.
C’est une approche raisonnable.
Dans la mondialisation, le secteur industriel des économies avancées souffre d’un fort déficit de compétitivité. Ce déficit est-il rattrapable ? Les Etats occidentaux ont-ils raison de vouloir à tout prix sauver leur industrie ?
Les emplois industriels ne reviendront pas, peu importe que l’on soit « plus compétitif ».
Dans l’industrie, la hausse de la productivité a été beaucoup plus forte que l’augmentation de la demande.
Ainsi, l’emploi dans l’industrie à travers le monde baissera de toute façon.
De plus, la compétitivité dépend largement des taux de change.
Si vos autorités monétaires continuent de maintenir des taux d’intérêt élevés par rapport au reste du monde, les taux de change vont demeurer élevés, ce qui accentue le manque de compétitivité.
Mais un pays peut également avoir une économie de services dominante.
Cela me rappelle des discussions dans les années 20, lorsque l’on se demandait si une économie pouvait subsister sans un secteur agricole important.
Et oui, vous pouvez bénéficier d’une économie prospère avec un secteur agricole qui représente seulement 2% de la main d’œuvre (…)
Source : Yannick Demoustier, Journal du Net
Les analyses pertinentes de STIGLITZ rappellent essentiellement les mises en garde formulées dès 1992, à l’époque du débat sur le Traité de Maastricht, par un autre Prix Nobel, le français Maurice ALLAIS.
pierre, a quand un article consacré au probleme de la section de st andré, nous savons ton franc parler et aimerais donc savoir ton analyse sur ce probleme. Salutations millitantes