L’interview éco de Catherine Barbaroux, présidente de l’ADIE sur France Inter – CDD : l’urgence absolue de changer de cap


 Catherine Barbaroux, présidente de l’ADIE

Je vous propose ci-dessous une retranscription de l’interview éco de Catherine Barbaroux, présidente de l’ADIE sur France Inter ( www.franceinter.fr ), le 16 décembre 2012. 

 

Fabrice Abgrall :

 

L’heure de l’interview éco, avec ce matin Catherine Barbaroux, présidente de l’ADIE, Association pour le développement des initiatives économiques. Elle a coprésidé avec Jean-Baptiste Foucaut le rapport sur « le droit au parcours accompagné vers l’emploi ».

 

C’était pour la Conférence sur la pauvreté, Brigitte…

 

Brigitte Jean Perrin :

 

Absolument. Et alors que les partenaires sociaux viennent encore de basculer de ces deux jours de négociations sans se mettre d’accord sur la sécurisation de l’emploi, où en est-on vraiment de la lutte contre l’emploi précaire ?

 

Pourquoi est-ce si difficile d’arriver à un accord sur l’encadrement des CDD ? 

Comment sécuriser les parcours vers l’emploi des personnes en situation de précarité ?

 

Quelques repères :

 

– Le travail à temps très partiel – moins de 20 heures par semaine – accroît très fortement le risque de pauvreté ;

 

– Le chômage de longue durée touche aujourd’hui 1 million 75 000 demandeurs d’emploi, soit 39 % des personnes inscrites à Pôle Emploi ;

 

–  En 2010, plus de 3 emplois salariés sur 10 de jeunes de 15 à 29 ans sont des emplois temporaires ou des emplois aidés.

 

Bref, comment aller plus loin dans la reconstruction de parcours jusque l’emploi durable ?

Pourquoi est-il si urgent d’utiliser moins de CDD ? 

 

L’analyse de Catherine Barbaroux…

 

Catherine Barbaroux :

 

Il serait totalement incompréhensible qu’il y ait un échec de la négociation sur les CDD et d’une manière générale sur la précarité, car c’est évidemment le problème majeur pour les salariés aujourd’hui sur le marché du travail.

 

Depuis 10 ans, on a plus que doublé le recours aux CDD. 

Quand les entreprises disent qu’elles manquent de flexibilité, c’est vrai que c’est un petit peu incompréhensible pour le commun des mortels.

 

84 % des intentions d’embauche sont des embauches en CDD. 

78 % de ces CDD sont des CDD de moins d’un mois.

 

Donc, on peut comprendre que les organisations syndicales s’alarment d’une « dislocation » du contrat de travail et du marché du travail, puisqu’on sait bien que les personnes en CDD dans une entreprise ne vont pas bénéficier des mêmes droits, du droit à la formation notamment, ne vont pas forcément d’ailleurs se sentir impliqués de la même manière, et ne vont pas forcément apporter la même motivation au travail.

 

Donc, c’est à la fois un problème pour les salariés, mais ce qui est pour moi encore plus incompréhensible, c’est qu’il me semble que c’est un problème pour les entreprises elles-mêmes.

 

Parce que dans une période où la compétitivité est tellement recherchée, où l’implication est tellement recherchée, on a besoin d’une main d’œuvre motivée, impliquée, qualifiée…

 

Brigitte Jean Perrin :

 

Dans les détails, la CFDT est plutôt pour une modulation de la cotisation en fonction de la durée du contrat de travail ; du côté de Force Ouvrière, on est plus sur un quota de 20 % de CDD en fonction de la taille de l’entreprise ; du côté de la CGPME, on serait d’accord pour sanctionner les contrats de moins de 8 jours ; et puis en même temps il y a ce débat : qu’est-ce qu’il faut sanctionner, les petits contrats ou les gros CDD ?

 

Catherine Barbaroux :

 

J’ai un peu le sentiment que le point d’équilibre pour les entreprises, c’est que, précisément, l’accord collectif travaille bien ces questions.

 

Parce que si on est dans des petites entreprises, on n’est pas dans la même logique, on a un surcroît de travail immédiat, et on peut comprendre le besoin d’un recours à un CDD d’appoint. Et donc il faut le normaliser, en limiter le quota, pour que ça ne dérègle pas trop les choses.

 

Dans des plus grandes entreprises, ou dans certaines branches, on peut avoir besoin, parce qu’on est dans des logiques de grands chantiers ou de commandes exceptionnelles qui viennent de l’étranger, à ce moment-là de CDD plus long.

 

Mais justement, et c’est là où tout le monde appelle à la négociation, il me semble qu’on doit pouvoir trouver un point d’équilibre qui tiennent compte des différentes tailles, et qui tiennent compte soit d’une logique punitive – mais évidemment les entreprises n’ont pas très envie de cette logique punitive –, soit d’une logique incitative, c’est-à-dire peut-être imaginer une diminution de la cotisation chômage en fonction du nombre de CDD utilisés.

 

Je pense qu’il y a sur la table plusieurs solutions. 

Ce qui me paraît important, c’est qu’il en soit discuté.

 

Or, je crois savoir qu’on n’en a pas encore parlé…

 

Brigitte Jean Perrin : 

 

Parce qu’ils ne sont pas d’accord dans les rangs patronaux…

 

Catherine Barbaroux :

 

Moi, je ne retiens pas l’argument qui est que le CDD constitue une panacée qui permet même d’économiser sur le coût du travail. 

Le CDD, comme vous le savez, est plus cher, puisqu’il y a la prime de précarité.

 

L’idée que le CDD est en soi quelque chose qui va alléger le coût du travail… ça peut permettre de réguler la durée de prise en charge du contrat, mais précisément, l’idée de la négociation, c’est un équilibre entre la capacité d’adapter parfois la durée du travail à la période de conjoncture économique, parfois de trouver des solutions même de gel des salaires…

 

Le CDD en soi n’est pas un outil de flexibilité…

 

 Brigitte Jean Perrin :

 

On voit une grosse montée du chômage avec un emploi à temps réduit.

Là-dessus, vous insistez énormément dans votre rapport sur la pauvreté…

 

Catherine Barbaroux :

 

Là aussi on a pris conscience qu’il y avait une forme de chômage récurrent, qu’il nous faut un chômage de longue durée « invisible », c’est-à-dire que beaucoup de personnes aujourd’hui font des « allers-retours » entre l’emploi et le chômage, et du coup ne bénéficient pas d’une couverture chômage.

 

Parce que ce fameux terme de « droits rechargeables » qui est aussi au cœur de la négociation, mais qui celui-là semble peut-être pouvoir avancer…

 

Or, aucun de nos dispositifs, que ce soit la formation, que ce soit les accompagnements qui peuvent être faits par Pôle Emploi ou par d’autres organismes, ne fonctionnent avec ce chômage récurrent.

 

Je rappelle qu’il y a plus de 14 millions de contrats de travail qui sont des contrats de moins d’1 mois !

 

On voit bien que la précarité, que le continuum qu’il faut essayer de faire pour assurer à ces personnes des garanties de revenus, comme tous les droits dans notre pays sont quand même très liés au contrat de travail – vous savez bien qu’on ne peut pas emprunter si on est en CDD, on peut difficilement louer un appartement si on est en CDD.

 

Il faut que la société toute entière réponde…

 

Brigitte Jean Perrin :

 

Concrètement, il faut faire quoi ?

 

Catherine Barbaroux :

 

36 % des chômeurs qui sont mal indemnisés aujourd’hui sont en dessous du seuil de pauvreté. 

Ils n’ont pas de dispositifs de formation qui les soutiennent de manière solide pour leur permettre d’acquérir des emplois avec des compétences…

 

Brigitte Jean Perrin :

 

Ce sont des systèmes curatifs un peu « pompiers », et pas de retour…

 

Catherine Barbaroux :

 

On a très peu de systèmes préventifs. 

Et on le dit depuis 30 ans : la formation profite à ceux qui sont le plus formés, et pas à ceux qui en ont le plus besoin.

 

Donc ça, vraiment… mettons un coup d’arrêt.

Redéployons, c’est possible !

 

Même à l’intérieur des entreprises, on peut dans les plans de formation regarder la main d’œuvre la plus vulnérable, celle qui n’a pas eu de formation depuis des années.

 

On n’est pas bien portant dans un univers malade. 

Je pense qu’il y a un moment où la question de la cohésion sociale et de ce fameux « choc des solidarités » est intimement lié au « choc de compétitivité ».

 

Ça ne marchera pas si on ne traite pas en même temps cette urgence sociale. 

C’est la « double peine » : ça coûte cher en prestations sociales et c’est du manque à gagner dans les cotisations sociales.

 

Je pense que ce qui est une solution, c’est de faire en sorte que les gens ne repartent pas à la « case départ » à chaque fois qu’ils ont tenté quelque chose. 

Le risque majeur du CDD, c’est celui-là.

 

Brigitte Jean Perrin : Madame, je vous remercie.

 

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