Société économique et criminalité : un serial killer, ou bien il continue de tuer avec une violence toujours croissante, ou bien on le coince (6ème partie)

 

Je vous propose ci-dessous la lecture de la 6ème et dernière partie d’une contribution (longue mais passionnante) de Jean-Marie Harribey *.

 

QUE FAIRE DE L’EURO ?


La question de la survie de l’euro est posée.

Si la crise s’approfondit, et elle ne peut que le faire si les structures de la finance ne sont pas réorganisées fondamentalement, l’éclatement de la zone euro est hautement probable.

 

Cet éclatement peut venir de l’éviction des pays jugés trop « lourds » à supporter, d’un choix de leur part ou au contraire d’un départ d’un pays qui, comme l’Allemagne, veut des excédents mirifiques tout en ne tolérant pas les déficits des autres !

 

Dans tous les cas, ce serait la mort des velléités de coopération au sein de feue l’Union européenne. L’option préférée ici n’est pas de sortir de l’euro unilatéralement, mais de faire éclater les carcans dans lesquels il est enfermé et qui en font un instrument d’asservissement au lieu de coopération.


Comment faire sauter ces carcans ? C’est le problème, dont la solution dépend surtout :

 

– d’une part, de la coordination des luttes sociales à l’échelle européenne alors que pour l’instant les peuples entrent en lutte contre les politiques anti-sociales de leurs gouvernements respectifs de manière séparée,

 

– et, d’autre part, d’accords conclus entre États qui accepteraient de rompre avec les injonctions des institutions européennes. En particulier, ces États décideraient de mécanismes de transferts budgétaires.


LE MAUVAIS EXEMPLE VENU D’EN HAUT


L’exemple est venu d’en haut : il n’y a plus de contraintes tyranniques qui tiennent et, déjà, bruissent les rumeurs de révision du traité de Lisbonne.

 

Un groupe d’États qui s’exonéreraient de ce dernier seraient-ils mis au ban de la communauté ?

 

Pas sûr, car l’Allemagne est empêchée de jouer les justiciers par l’arrêt de la cour de Karlsruhe qui, en juin 2009, a considéré que les traités et directives européens ne pouvaient contrevenir aux dispositions de sa Loi fondamentale.

 

Faut-il transformer la monnaie unique en monnaie commune cohabitant avec des monnaies nationales restaurées ?

Ce serait une position de repli in extremis en cas d’échec des stratégies de coopération renforcée.

 

Il y aurait un avantage immédiat, celui de faire retrouver à chaque pays des marges de manœuvre par le biais du taux de change.


Mais la manœuvre comporterait deux risques élevés :

 

– Le premier est de remplacer la « concurrence libre et non faussée », façon Commission européenne, par une concurrence obligée et faussée par les écarts de productivité.

 

– Le second risque est de déclencher une spéculation encore plus forte contre les pays les plus fragiles, à l’image des ravages provoqués par les spéculations de 1992 et 1993, dans le cadre du système monétaire européen au sein duquel l’écu fonctionnait pour les marchés financiers comme une sorte de monnaie commune.


RELANCER LA CROISSANCE OU BIFURQUER ?


Beaucoup de voix, notamment parmi la toute jeune communauté des « économistes atterrés », appellent de leurs vœux des politiques de relance de la croissance économiquepour desserrer l’étau de l’effet boule de neige.

 

Il ne fait pas de doute qu’il y a là une potentialité d’alléger le poids de la dette au fur et à mesure que les rentrées fiscales augmentent avec la croissance et que l’écart entre le taux de croissance et le taux d’intérêt se réduit. 

 

Et l’avantage de cette potentialité est qu’elle peut se manifester dans un terme assez court.

 

Mais peut-on aujourd’hui séparer le court et le long terme ?

La réponse dépend du diagnostic que l’on porte sur la crisequi a éclaté en 2007.


S’agit-il d’une péripétie financière analogue à toutes celles que le capitalisme a connues dans le passé, suivies de récessions temporaires ?

Ou bien s’agit-il d’une crise systémique à deux niveaux :

 

– une crise systémique parce que le régime d’accumulation financière développé depuis plus une bonne trentaine d’années est à bout de souffle,

 

– et une crise systémique parce que le capitalisme mondial rencontre une limite dont il avait cru s’affranchir jusqu’ici qui tient à la finitude de la planète et des ressources naturelles.


On retient ici la seconde hypothèse et on en conclut que la seule relance envisageable est celle qui irait vers les investissements de reconversion écologique de l’industrie et de l’agriculture et celle qui ferait le choix des services non marchands de qualité.

 

On ne peut donc se contenter de prôner des politiques économiques de relance pour contrer les politiques de déflation mises en œuvre par les serial killers.

 

Parce qu’il faut craindre que ces derniers n’y trouvent matière à faire de nouvelles victimes qui s’appelleraient populations déplacées à cause du réchauffement climatique, et chômeurs et précaires condamnés à la mendicité ou l’assistance tandis que les actionnaires se goinfreraient.


Un serial killer, ou bien où il continue de tuer avec une violence toujours croissante, ou bien on le coince.

 

[1] Voir Attac, « Le G20 face à la crise financière : les éléphants, la souris et les peuples », novembre 2010.

Jean-Marie Harribey est ancien Professeur agrégé de sciences économiques et sociales et Maître de conférences d’économie à l’Université Bordeaux IV. Pendant la première moitié de sa vie professionnelle, il a enseigné en lycée, et, pendant la seconde, à l‘Université où ses recherches portent sur la critique de l’économie politique, les concepts de valeur et de richesse, le travail, la protection sociale et le développement soutenable.

Il a publié notamment L’économie économe, Le développement soutenable par la réduction du temps de travail (L’Harmattan, 1997), Le développement soutenable (Economica, 1998), La démence sénile du capital (Le Passant Ordinaire, 2002), Raconte-moi la crise (Le Bord de l’eau, 2009). Il a dirigé Le développement a-t-il un avenir ? (Mille et une nuits, 2004), Le Petit Alter, dictionnaire altermondialiste (Mille et une nuits, 2006). Il a aussi co-dirigé Capital contre nature (PUF, 2003), Le développement en question(s) (PUB, 2006), Sortir de la crise globale, vers un monde solidaire et écologique (La Découverte, 2009), et Retraites : l’heure de vérité (Syllepse, 2010)

Chroniqueur à Politis, il est membre de la Fondation Copernic et d’Attac France, qu’il a présidée de 2006 à 2009. Vous pouvez aussi voir sa page personnelle sur le site de l’Université Bordeaux IV.

http://alternatives-economiques.fr/blogs/harribey/2010/12/03/il-faut-coincer-les-serial-killers/#


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