Crise financière : lorsque les banques étranglent les collectivités locales

  2008 : début de la crise financière.

Sont touchés : les États, mais aussi les collectivités locales.

 

Régions, Départements, Communautés d’agglomérations, communes, quelle que soit leur taille ou l’appartenance politique de leurs exécutifs .

 

Beaucoup d’entre elles ont goûté à ce que l’on appelle maintenant les «emprunts toxiques».

 

Aujourd’hui, toutes ces collectivités locales en paient lourdement les conséquences, devant faire face à des échéances insupportables ou tentant de renégocier leurs prêts.

Sans succès. 

 

Comment en est-on arrivé là ? 

 

À l’origine du désastre, les montages sophistiqués de banques, comme Dexia (ex Crédit local de France), la Caisse d’Epargne Natixis, le Crédit agricole ou encore Fortis.

 

Voulant faire dans l’innovation, ces banques ont proposé des produits nouveaux, que l’on pourrait pratiquement qualifiés de « crédits subprimes », en lieu et place d’emprunts tranquilles à taux fixes.

 

En fait, elles ont reproduit ce qui a été à l’origine de la catastrophe économique mondiale actuelle : les subprimes dans le bâtiment aux Etats Unis qui ont conduit des millions de ménages américains à la faillite.

 

Ces banques ont présenté l’affaire sous son meilleur angle : un taux avantageux… en omettant de préciser (ou en le faisant de façon minimale), que le montage qu’elles proposaient reposait sur des formules très alambiquées d’indexation.

 

Un banquier avait alors expliqué :

«Ces formules sont une sorte de pari.

Elles jouent sur des anticipations divergentes, par exemple, l’évolution du yen comparé au franc suisse, ou encore sur le différentiel entre le loyer de l’argent à court terme et à long terme.

Cela s’appelle jouer sur la pente de la courbe des taux».

 

Une pente vertigineuse, avec effet toboggan : les indices ont été volatils.

Résultat : il y a eu des dérapages sévères.

 

Ainsi, les prêts offerts à des conditions extrêmement compétitives par rapport à des emprunts classiques se sont avérés être des poisons financiers. 

 

Lente dégradation 

 

Certes, dans les premières années, il y a eu, de la part des associations d’élus,  une minimisation de l’impact, des effets de ces prêts sur les finances locales.

 

Mais rapidement, les présidents de conseils régionaux, généraux, municipaux ont déchanté.

 

D’autant plus que depuis 2008, les dotations d’État aux collectivités locales commençaient à baisser, entraînant les premiers effets pervers sur les budgets locaux.

 

Ainsi, les collectivités locales tentent de renégocier leurs dettes avec les banques.

 

Lesquelles après leur avoir déroulé le tapis rouge, ont fait preuve d’un immobilisme et d’un mutisme navrants.

Quand ce n’était pas pour proposer des remèdes pires que le mal.

 

En trois ans, la situation économique mondiale s’est dégradée.

L’augmentation de la dette de la France, le gel des dotations de l’État aux collectivités locales, ainsi que la stagnation du potentiel fiscal des ménages ont fait que les collectivités – quelles qu’elles soient – ont de plus en plus de mal à boucler leur budget.

 

Et avec des taux grimpant en flèche, les collectivités se sont retrouvées rapidement dans une impasse.

 

Plaintes contre les banques 

 

Et dans ce contexte, les collectivités locales ont réagi.

Par exemple, le Département de la Seine Saint-Denis a poursuivi trois banques dès février dernier (DEPFA, CALYON, DEXIA).

 

L’objectif du président du CG, Claude Bartolone, était de « faire annuler » les contrats passés. 

Il précisait :

« Les banques n’ont pas satisfait à l’obligation de mise en garde à laquelle elles sont tenues dans le domaine des opérations spéculatives ».

 

Exemple : la banque irlando-allemande Depfa, a fait passer le taux d’intérêt de 1,47% à 24,20% (!), ce qui représente un surcoût de 1,5 million d’euros par an pour le Département.

 

D’autres collectivités locales ont porté l’affaire devant la justice, comme la ville de Lille ou celle de Saint-Étienne, ou sont en passe de le faire, comme Saint-Tropez.

 

Hier c’était le maire d’Angoulême qui annonce avoir assigné la banque franco-belge Dexia devant le tribunal de grande instance de Nanterre pour faire annuler un emprunt toxique de 16 millions d’euros souscrit par la précédente municipalité.

 

L’assignation s’appuie notamment sur le « défaut de conseil » de Dexia qui n’a fourni « aucune information sur les risques et sur les clauses de sortie du contrat » de cet emprunt courant sur 17 ans ».  

 

Le taux d’intérêt de cet emprunt, fixé pendant 5 ans à 4,8%, est passé à plus de 7%, l’évolution du taux dans le temps étant basée sur celle de la parité dollar/yen.

Coût pour la collectivité : 350.000 euros d’intérêts en plus.

 

Toujours est-il que c’est une  centaine de collectivités qui est « gravement » exposée aux emprunts structurés.

En clair : elles courent à la faillite. 

 

Une commission d’enquête 

 

En juin, l’Assemblée nationale a créé une commission d’enquête

«relative aux emprunts et produits structurés contractés auprès des établissements bancaires par les collectivités territoriales, leurs groupements, les établissements publics locaux, entreprises publiques locales et autres acteurs publics locaux».

 

Une initiative qui se trouve renforcée au vu du rapport de la Cour des comptes.      

 

En effet, en juillet, la Cour des comptes rend un rapport dans lequel elle dénonce la bombe à retardement que constituent ces emprunts toxiques pour les collectivités locales. 

 

Elle demande  à l’État de tirer  les conséquences du développement des emprunts structurés pour éviter que cet épisode ne se renouvelle. 

 

Elle souligne également la responsabilité des banques et met en avant l’extrême gravité de la situation.

 

Le rapport estime, en effet, que

« l’endettement des collectivités locales (hors établissements de santé pourtant endettés dans des conditions identiques) est passé de 116,1 en 2004 à 163,3 milliards d’euros en 2010, une hausse de 41% en moyenne, mais avec une progression de 80% pour les régions, de 63% pour les départements et de 30% pour les communes et les EPCI (établissement public de coopération intercommunale) à fiscalité propre ».

 

La faute aussi à la non compensation  

 

Le rapport expliquait aussi : c’est notamment

« sous le poids des dépenses sociales transférées, que les départements ont pallié la baisse de leur autofinancement par un recours à l’emprunt. Les régions ont réalisé des investissements importants, notamment dans le domaine ferroviaire, qu’elles ont également financés en s’endettant ».

 

Et de poursuivre :

« L’encours de la dette locale (collectivités, EPCI et divers syndicats) intègre environ 30 à 35 milliards d’euros d’emprunts structurés, dont 10 à 12 milliards d’euros présentent un risque potentiellement élevé ».

 

On est loin de ce qu’annonçait quelques semaines plus tôt Philippe Richert, ministre chargé des collectivités locales, pour qui les emprunts toxiques  représentent seulement 7 milliards d’euros.

 

Une estimation deux fois moins importante !

 

Et maintenant, ces banques se retirent 

 

Ainsi donc, depuis quelques mois, certaines banques sont sorties du marché du financement des collectivités locales qu’elles jugent « peu rentable et coûteux en liquidités ». Ben voyons !

 

Dexia et les Caisses d’épargne ont fortement réduit leur présence sur ce marché.

 

C’est dans ce contexte que les associations d’élus ont décidé de soutenir la création d’une agence de financement des collectivités par le biais d’émissions obligataires.

 

Dans l’urgence, une autre proposition a été émise : la création d’une structure de défaisance financée par une taxe sur les banques.

Mais la Cour n’est pas favorable à la création d’une telle structure.

 

Pas plus que le gouvernement français.

 

Une taxe sur les banques ? 

 

Une autre piste est envisagée : une taxe sur les banques pour financer les milliards d’euros de pertes qu’engendreront selon lui les emprunts toxiques.

 

Et je terminerai sur cette idée de la Cour des comptes : faire un bilan de l’application de la charte de bonne conduite signée entre banques et collectivités suggérant d’interdire les emprunts dont le taux d’intérêts est basé sur des écarts d’indices hors zone euro.

 

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4 Commentaires sur

Crise financière : lorsque les banques étranglent les collectivités locales

  • EricNo Gravatar |

    il y a eu peut etre de la naïveté de la part de certains élus, ceux à qui on a proposé des prêts à des taux ridiculement bas. mais cela ne doit pas faire oublier que le rôle des banques n’est pas seulement de faire de l’argent, c’est aussi d’être conseil auprès de leurs clients
    cette affaire ne permet pas d’avoir confiance dans les banques, que l’on soit particulier ou entreprise voire collectivité

  • ùXBäNo Gravatar |

    bien sûr qu’on ne peut se fier aux banques! lol !
    mais on peut aussi se dire que les dirigeants de collectivités locales manquent parfois de bon sens
    ou pire , de compétences réelles en matière de finance et d’emprunts…une lacune qu’il n’est plus possible de se permettre de nos jours!
    à quand une formation solide des élus ?

  • ManuellaNo Gravatar |

    @ùxbä : c’est vrai que les banques ont joué un rôle déterminant dans la crise, que certaines, par leurs employés, en sont en partie responsables, mais quand même, il ne faut pas tout mélanger…
    si on ne peut pas faire confiance aux banques pour gérer son épargne, peut -on faire confiance aux médecins? aux enseignants? aux journalistes? pas de systématisation s’il te plait
    mais d’accord, certains élus ont montré de la légèreté dans leur comportement. mais les banques citées dans l’article sont dites comme spécialistes des collectivités… s’il y a peut être une faute des élus, il y a une faute des banques, c’est sûr, ça ne donne pas envie de faire confiance, d’accord, mais si on ne peut faire confiance en personne, ou va – t on?

  • ùXBäNo Gravatar |

    @ manuella
    sur les banquiers je blaguais un peu ma chère !
    ceci dit , et sans vouloir accabler les banques , il arrive aussi que leurs employés ne soient pas eux-mêmes compétents sur les produits qu’ils commercialisent…des systèmes d’interressement
    aux ventes les incitent parfois à proposer des produits mal adaptés ou parfois dangereux style les prêts à taux variables non-plafonnés…ou des placements  » sûrs  » qui contiennent en fait une bonne partie d’investisement en actions !
    mais ceci dit la confiance n’est pas une question d’institution mais d’individus…
    il y a des gens digne de confiance chez les banquiers , les médecins,les enseignants et même les politiques…et d’autres dont il vaut mieux se
    garder un peu…car tout le monde peut simplement se tromper…les exemples abondent !
    il est donc toujours préférable de bien regarder ce que l’on décide pour soi plutôt que faire une confiance aveugle et venir ensuite se plaindre…
    car les conseilleurs ne sont jamais les payeurs !

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