Mes commentaires sur les contributions au débat relatif à la nécessité ou non d’une évolution institutionnelle de notre Île : en réponse à mon collègue conseiller général Cyrille Hamilcaro

 Lundi 25 mars 2013, le conseiller général Cyrille Hamilcaro a fait paraître une tribune libre intitulée « Lettre ouverte aux néo-autonomistes ». 

Cette tribune est une contribution au débat sur la nécessité ou non d’une évolution institutionnelle de notre Île.

 

Vous retrouverez l’intégralité de la tribune à la fin de mon article

Mais sans en dénaturer l’esprit, je me permets d’en reprendre des extraits, mis en italiques, afin d’y apporter mes commentaires.

 

Une argumentation « étriquée » ?  

 

Cyrille Hamilcaro : « (…) Une argumentation certes séduisante mais étriqué, il y aurait nécessité de faire en sorte que La Réunion ait une évolution institutionnelle pour résoudre ses problèmes économiques et sociaux. »

 

Etonnant de voir  mon collègue Cyrille Hamilcaro trouver « étriquée » l’analyse selon laquelle l’alinéa 5 de l’article 73 de la Constitution constitue un frein aux initiatives locales pour une politique adaptée à notre île !

 

Il aurait pu dire « inutile » « iconoclaste », ce qui reposerait sur des bases d’analyse politique, mais le mot « étriquée » ne veut rien dire ici.

 

La Réunion doit elle avoir «  une évolution institutionnelle pour résoudre ses problèmes économiques et sociaux ? ».  Oui, c’est une étape obligée.

 

Oui, la loi de mars 46 est « obsolète »  

 

Cyrille Hamilcaro : « Selon eux, le passage de colonie à Département le 19 mars 1946, (…) cette logique est aujourd’hui obsolète. »

 

Oui, la loi de mars 1946 est bien « obsolète » aujourd’hui.

 

Il serait totalement et politiquement faux de dire qu’elle n’a rien apporté.

 

Mais ce qu’elle apporte encore aujourd’hui ne permet plus de faire face aux réalités.

 

Pas plus que cela ne permet de dessiner des perspectives.

 

Attention au « procès d’intention »  

 

Cyrille Hamilcaro : « Sauf pour les communistes qui sont dans leur vrai, car ils étaient eux (et ils le restent!) dans une logique de développement « séparée » et non « différenciée ». » 

 

C’est un procès d’intention, et cela ne veut rien dire, à moins de faire une allusion au développement séparé que nous retrouvons dans les régimes communautaristes, tel celui de l’apartheid.

 

Procès d’intention surtout quand l’histoire reconnaît que les communistes ont joué un rôle important à La Réunion dans la lutte contre le régime honni de l’apartheid d’une part, et dans l’application de l’égalité sociale en matière de prestations sociales et familiales d’autre part.

 

Par contre, il est vrai que nous avons avec constance plaidé pour que Paris constate une évidence : le contexte réunionnais, et notamment l’environnement géographique de notre île, nous invite à construire un modèle réunionnais « différencié ».

 

Un manque cruel : le projet   

 

Ceci dit, a-t-on utilisé toutes les ressources juridiques qui nous sont offertes ? Non.

A commencer par le droit à l’expérimentation.

 

Bien peu d’élus se sont saisis de cette opportunité, dans les collectivités de France métropolitaine.

Pourquoi ne pas avoir utilisé cette possibilité ?

 

Serait-il inexact de dire que pour l’instant, on ne voit que des « mesurettes », des idées plus ou plus intéressantes, plus ou moins valables, mais qui ne reposent en fait sur aucune perspective globale ?

 

Supprimer ou garder l’article 73 n’est qu’un aspect du problème  

 

Car ce qui manque cruellement, c’est un projet.

Bien sûr, le constat des différentes carences est plus ou moins partagé.

 

Le catalogue de propositions, on l’a. 

Mais de projet, il n’en est pas question.

 

Dire qu’il faut supprimer, ou dire qu’il faut garder l’alinéa 5 de l’article 73 de la Constitution, sans faire référence à un projet, c’est tout de même prendre le problème par le petit bout de la lorgnette.

 

Une absence d’analyse politique   

 

Le discours de mon collègue Cyrille Hamilcaro sur l’alinéa 5 de l’article 73 n’est que la reprise des différents documents juridiques (des articles L.O. 4435-9 à L.O. 4435-12, de l’article 73 de la Constitution).

 

Il n’y a pas d’analyse politique.

En revanche, l’exemple pris (le département de La Réunion fixant les conditions d’attribution du RSA) est très révélateur d’un état d’esprit.

 

L’arme de la peur à nouveau brandi   

 

Cyrille Hamilcaro : « (…) Si nous partons de ce que prévoit la Constitution, le Conseil Général pourrait décider seul, par exemple, de fixer des conditions plus restrictives à l’attribution du RSA, ainsi que moduler son montant, sans passer par la représentation nationale. 

Il en serait de même en matière, pour la Région et le Département, de création des impôts et taxes ! 

Sont-ce véritablement cela que les Réunionnais veulent ? »

 

Comme toujours avec certains, il s’agit de brandir l’arme de la peur.

Mettre en lien la suppression de l’alinéa 5 de l’article 73 et la baisse du RSA, c’est déployer une grossière manœuvre de manipulation !

 

Quant à l’idée d’une fiscalité propre pour La Réunion, pourquoi pas ?

Certains foyers ne paient pas d’impôt sur le revenu, en touchant pourtant deux retraites de fonctionnaires ! Et des retraites majorées !

 

Pas un changement de couleur mais la responsabilité du choix des matériaux   

 

Cyrille Hamilcaro : « (…) Ce n’est pas en changeant la couleur du toit d’une maison que l’on change la vie de ses occupants. »

 

Belle formule imagée, mais se situe-t-on à ce niveau si le pouvoir nous est donné d’envisager de mettre une taxe supplémentaire sur tous ces gros foyers ?

Une taxe dont le produit pourrait par exemple être reversé aux… allocataires du RSA, en contrepartie d’une incitation réelle vers l’insertion et le travail durable !

 

Il ne s’agit donc pas de repeindre sur des parois affectées, mais de revoir nous-mêmes les matériaux utilisés avant de repeindre

 

Pourquoi pas lutter « localement » contre l’excès de réglementation   

 

Cyrille Hamilcaro : « (…) On se doit de changer quelques règles bloquants mais lutter contre l’excès de réglementation ne signifie pas s’octroyer la capacité à légiférer. »

 

Le fait de mettre en opposition «  l’excès de réglementation » d’un côté et « la capacité à légiférer» de l’autre, n’apporte pas grand chose.

L’excès de réglementation, toutes les collectivités en souffrent.

 

Toutes les collectivités en souffrent, y compris financièrement.

 

Et justement, pourquoi ne pourraient-elles pas, à La Réunion, compte tenu justement des spécificités, en amender, voire en supprimer certaines, qui les pénalisent bien plus que les collectivités de France continentale ?

 

La position du sénateur UMP Eric Doligé   

 

Je ne ferais pas insulte à Cyrille Hamilcaro en reprenant ce que le sénateur UMP du département du Loiret, Eric Doligé, préconisait en ce qui concerne l’inflation normative.

 

En substance, le sénateur recommandait en premier lieu une évolution de la méthode d’élaboration des normes applicables aux collectivités locales (définition d’un programme de réduction annuel des normes, meilleure prise en compte de la taille et des moyens des différentes collectivités, en appelant à une adaptation du droit aux réalités locales).

 

Notamment outre-mer !

Mais l’adaptation ne veut évidemment pas dire faire n’importe quoi !

 

L’exception remplaçant la règle, le droit commun devient l ‘exception   

 

Cyrille Hamilcaro : « Prenons un exemple : l’incapacité d’un fils d’agriculteur, expérimenté par la pratique, de prendre la succession de ses parents car non diplômé. 

Par blocage de la réglementation, il ne pourra pas exercer son métier, qu’il maîtrise, car il n’a pas les diplômes nécessaires ; et alors qu’il ne demande pas un sou à personne pour reprendre l’exploitation. 

Il en sera de même pour le coiffeur, le boulanger, le taxiteur ou le fleuriste… »

 

C’est bien parce que le droit commun est la règle que les particularismes réunionnais ne peuvent pas être pris en compte… systématiquement pour que l’exception devienne… la règle.

 

Intégration sans assimilation, voire assimilation sans intégration : « vaste programme »   

 

Cyrille Hamilcaro : « Je suis pour un principe politique simple : modèles institutionnel et social uniques, modèles économiques et sociétales différenciées. »

 

Si mon collègue conseiller général veut dans le même temps des « modèles institutionnel et social uniques, modèles économiques et sociétales différenciées », il a raison, il va falloir une sacré imagination !

 

Des propositions ? Mais pour quel projet global ?   

 

Cyrille Hamilcaro : « Il y a trois orientations qui, aujourd’hui, peuvent l’objet d’une large majorité, si ce n’est d’une unanimité : le découpage des communes, la mise en cohérence des compétences dans une région monodépartementale et la gestion des emplois aidés. » 

« (…) Ces communes supplémentaires ne coûteraient rien de plus à l’Etat, et ne déséquilibreraient pas le schéma de coopération intercommunale en les obligeant à rester dans les EPCI actuels. »

 

Un redécoupage communal, un redécoupage cantonal, pourquoi pas, cela peut là aussi se discuter.

On peut faire des projections sur ce que cela pourrait être.

 

Mais la question est là encore simple : redécouper, remodeler, mais quoi ?

Et surtout pour quoi ? Dans quel objectif ?

 

Pour la réalisation de quel projet ?

Le redécoupage ? Oui, mais pourquoi obligatoirement se figer sur ce qui existe déjà ?

 

Pourquoi ne pas envisager, s’il est vraiment nécessaire de redécouper, de se placer sur le plan de l’économie.

Pourquoi ainsi ne pas tenir plutôt compte de ce que l’on appelle « les bassins d’emplois » par exemple.

 

Et ne faudrait-il pas faire attention quand on mentionne « d’obliger » les nouvelles communes « à  rester dans les EPCI actuels ».

 

La solidarité entre communes ou collectivités ne se « décrète » pas, elle se « secrète », se construit pas à pas, avec détermination, mais patience et respect mutuel.

 

Clarification des compétences ? Et la mutualisation ?   

 

Cyrille Hamilcaro : « La clarification des compétences. Il est clair que le Conseil Régional et le Conseil Général se doivent de sortir de ce statu quo qui freinent les actions par absence de visibilité claire, et par un trop plein de financements croisés. Cela peut se faire sans toucher aux prérogatives des communes ou des EPCI. »

 

Mettre en cohérence les compétences entre Région et Département ?

Cela a été fait à plusieurs reprises… notamment quand le conseiller général Hamilcaro Cyrille faisait partie de la majorité départementale de 2001 à 2008, et que l’harmonisation des compétences entre région avec Paul Vergès et département avec Nassimah Dindar s’est concrétisée par un accord en 2005.

 

Faut-il comprendre que les exécutifs de l’époque ne sont pas allés jusqu’au bout des possibilités ? 

Mais n’y a t-il aussi une autre approche ?

 

Je prendrais l’hypothèse de la mutualisation.

Avec la mutualisation, la clarification dans la répartition des compétences n’est plus indispensable.

 

L’exemple de la mise en place d’un syndicat mixte des transports en est une illustration.

Sauf erreur, cela commence à se pratiquer.

 

Attention à l’imprécision dans l’attribution d’une compétence « exclusive »   

 

De plus, parler de « compétence exclusive » me paraît dangereux si des précisions ne sont pas apportées afin d’éviter de se « planter ».

En effet il ne faut pas que cela soit  contradictoire avec la règle la libre administration des collectivités et de non tutelle d’une collectivité sur une autre.

 

Il en est ainsi quand la proposition suivante est faite : « l’aménagement du territoire seraient de la compétence exclusive de la Région ».

Ou encore lorsqu’il est suggéré de consacrer l’éducation, la santé et la culture à « la compétence exclusive du Département » :

 

Cela signifie-t-il que le département s’occuperait des lycées, et reprendrait la gestion des TOS travaillant dans les lycées ?

 

Le Département seul s’occuperait-il de la culture ? Parce que cela touche à l’humain ?

 

Et la santé ? Comment établir un « plan réunionnais de santé publique » s’il ne repose pas, par exemple, sur la recherche ? Quels seraient les rapports entre les deux collectivités ? 

 

L’exercice difficile de mise en adéquation de l’emploi et de la formation   

 

Quant à l’adéquation entre emploi et formation, cela existe déjà.

Les PRDF et autres documents de planification ont eu, plus ou moins cette ambition.

 

Mais cela n’a de toute évidence pas permis de résoudre la question du chômage.

 

Entre autres pour les deux raisons suivantes :

 

– d’une part, parce qu’il y a toujours une partie de la population qui ne pourra pas entrer dans les dispositifs, faute d’une formation initiale suffisante ; 

– d’autre part, parce que le tissu économique réunionnais étant fait de TPE ou d’entreprises artisanales, les projections à long terme sont très difficiles.

 

Il y a à ce sujet une abondante littérature.

 

D’ailleurs, même au niveau national, ces projections sont difficiles à réaliser. Un exemple, la pénurie d’infirmières était-elle difficile à prévoir ?

 

Plutôt une responsabilisation citoyenne dans la gestion des emplois aidés   

 

Cyrille Hamilcaro : « La gestion des emplois aidés. Tout un chacun souhaite sortir de la dictature de la pression des emplois aidés sur la gestion quotidienne. »

 

Je ne sais pas si tout un chacun le souhaite, mais je suis assez d’accord avec les propositions formulées ensuite.

 

Avec un bémol : il ne faut pas souhaiter le dessaisissement des collectivités locales de cette « responsabilités » pour retomber dans le travers d’une gestion exclusive de l’Etat.

 

A l’heure où nous souhaitons, avec ou sans réforme institutionnelle, nous inscrire dans l’ère d’une responsabilité plus affirmée, nous devons tout faire pour que la responsabilisation citoyenne soit une constante de notre démarche d’élus.

 

A ce titre, et dans un objectif de maintien, à défaut du renforcement, du lien social, la gestion par l’Etat, avec le concours des collectivités locales pour aider à l’élaboration de projets, et la participation à la décision de comités citoyens de quartiers, notamment pour la désignation des bénéficiaires, me semble être une solution plus appropriée.

 

*****

 

En conclusion, je préciserai ceci : l’analyse de mon collègue Cyrille Hamilcaro a un mérite, celui d’exister.

Mais cette analyse soulève autant de problèmes qu’elle prétend en résoudre.

 

La tribune libre de Cyrille Hamilcaro intitulée « Lettre ouverte aux néo-autonomistes ».

 

Dans diverses interventions, des politiques locaux et un universitaire proche des réseaux gouvernementaux (et non des moindres puisqu’il s’agit d’une membre de la commission Jospin), ont plaidé pour la suppression de l’amendement Virapoullé qui interdit à La Réunion d’exercer une certaine autonomie législative, dite « lois pays ». Pour eux, dans une argumentation certes séduisante mais étriquée, c’est la fin du modèle départemental et il y aurait nécessité de faire en sorte que La Réunion ait une évolution institutionnelle pour résoudre ses problèmes économiques et sociaux.

 

Ainsi, selon eux, le passage de colonie à Département le 19 mars 1946, puis l’affirmation des lois sociales au profit de ces départements d’Outre-mer à compter de 1963, ensuite la création de la Région comme collectivité élue en 1983 et enfin la consécration constitutionnelle de La Réunion région mono-départementale, seraient des évolutions institutionnelles au départ logique, mais que cette logique est aujourd’hui obsolète. Cette conception est une erreur politique et historique majeure, sauf pour les communistes qui sont dans leur vrai, car ils étaient eux (et ils le restent!) dans une logique de développement « séparée » et non « différenciée ».  

 

Que dit actuellement la Constitution concernant les compétences des collectivités pour fixer les règles applicables sur leur territoire ?

Elle dit que les collectivités d’outre-mer de l’article 73 de la Constitution, à l’exception de La Réunion, peuvent, pour tenir compte de leur spécificité, être habilitées par la loi à fixer elles-mêmes les règles applicables sur leur territoire dans un nombre limité de matières pouvant relever du domaine de la loi.

 

Ainsi, les conditions dans lesquelles peut intervenir une telle habilitation et le régime des actes des départements et régions d’outre-mer et du Département de Mayotte fixant les règles applicables sur leur territoire dans un nombre limité de matières pouvant relever du domaine de la loi ou du règlement sont fixées pour les départements de la Guadeloupe, de la Guyane et de la Martinique par les articles L.O. 3445-9 à L.O. 3445-12 du code général des collectivités territoriales et pour les régions de la Guadeloupe, de la Guyane et de la Martinique, et le Département de Mayotte par les articles L.O. 4435-9 à L.O. 4435-12 du même code.

 

La demande d’habilitation tendant à adapter une disposition législative ou réglementaire est adoptée par délibération motivée du conseil général ou régional. Elle ne peut intervenir lorsque sont en cause les conditions essentielles d’exercice d’une liberté publique ou d’un droit constitutionnellement garanti, ni porter sur l’une des matières mentionnées au quatrième alinéa de l’article 73 de la Constitution (nationalité ; droits civiques ; garanties des libertés publiques ; état et capacité des personnes ; organisation de la justice ; droit pénal ; procédure pénale ; politique étrangère ; défense ; sécurité et ordre publics ; monnaie ; crédit et changes ; droit électoral). Elle devient caduque le dernier jour du mois qui précède celui du renouvellement du conseil, le jour de la dissolution ou de l’annulation de l’élection de l’ensemble des membres du conseil qui l’a adoptée ou le jour de la vacance de l’ensemble des sièges du conseil. Elle est transmise au Premier ministre et au représentant de l’État dans la collectivité et publiée au Journal officiel de la République française.

 

L’habilitation est accordée par la loi pour une durée qui ne peut excéder deux ans à compter de sa promulgation. Le Conseil constitutionnel a précisé que l’économie générale des dispositions constitutionnelles exclut que cette habilitation puisse être délivrée par des ordonnances prises sur le fondement de l’article 38 de la Constitution (CC n° 2007-547 DC du 15 février 2007). Le conseil général ou régional adopte, par délibérations publiées au Journal officiel de la République française, les dispositions prises en application de l’habilitation. Les dispositions de nature législative d’une délibération d’un conseil général ou d’un conseil régional prises sur le fondement de l’habilitation législative ne peuvent être modifiées par une loi que si celle-ci le prévoit expressément. De même, les dispositions de nature réglementaire prises sur le fondement d’une telle habilitation ne peuvent être modifiées par un règlement que si ce dernier le prévoit expressément.

 

Si nous partons de ce que prévoit la Constitution, le Conseil Général pourrait décider seul, par exemple, de fixer des conditions plus restrictives à l’attribution du RSA, ainsi que moduler son montant, sans passer par la représentation nationale. Il en serait de même en matière, pour la Région et le Département, de création des impôts et taxes ! Sont-ce véritablement cela que les Réunionnais veulent?

 

Permettez-moi donc, à mon humble niveau d’élu local et de petit juriste des quartiers pauvres, de m’inscrire en faux contre de telles propositions : ce n’est pas en changeant la couleur du toit d’une maison que l’on change la vie de ses occupants.

 

Au vu du contexte (140 000 chômeurs malgré une croissance supérieure à 2,5%, une évolution sociétale trop rapide, une étroitesse du territoire qui place la mobilité comme une nécessité publique, un commerce extérieur largement déficitaire, une structuration sociale encore marquée par la structure des sociétés de plantation, une dérive vers des gouvernances sous pressions de lobbies économiques ou de communautés d’appartenance, une école qui ne forme pas…), certains tombent dans la facilité de dire que puisque la maison coule, il faut la repeindre. Je ne partage pas cet avis et cette forme de pensée qui se veut unique. Certes, on se doit de changer quelques règles bloquants mais lutter contre l’excès de réglementation ne signifie pas s’octroyer la capacité à légiférer.

 

Je suis pour un principe politique simple : modèles institutionnel et social uniques, modèles économiques et sociétales différenciées. A partir de là, le fait que nous soyons en Outre-mer nous oblige à avoir un modèle économique différent; et notre histoire et nos traditions font inévitablement que nous ayons un modèle sociétal différent des autres régions de France Hexagonale. Travailler sur ces modèles qui doivent nous être propres n’impliquent pas nécessairement que nous puissions, en dehors du législateur national, changer ou adapter des règles qui relèvent du domaine institutionnel ou des organisations sociales. Si une Région fait cela, nous ne sommes plus dans une République unitaire et décentralisée, mais nous sommes dans une République régionalisée ou fédérale. Et dans le cas des régions d’Outre-mer, une telle assimilation juridique constitue une différenciation totale et une ambigüité politique sans bornes. J’accepterai un changement institutionnel lorsque ce changement sera global et concernera l’ensemble de la République.

 

Prenons un exemple : l’incapacité d’un fils d’agriculteur, expérimenté par la pratique, de prendre la succession de ses parents car non diplômé. Par blocage de la réglementation, il ne pourra pas exercer son métier, qu’il maîtrise, car il n’a pas les diplômes nécessaires; et alors qu’il ne demande pas un sou à personne pour reprendre l’exploitation. Il en sera de même pour le coiffeur, le boulanger, le taxiteur ou le fleuriste… C’est bien là une inadéquation de la réglementation qui fait que le chômage se maintient, alors que la compétitivité passe par la possibilité pour tous de créer et d’innover. Et si nous posons le problème de la sur-rémunération comme un frein à la compétitivité des entreprises ou comme un facteur d’inflation, qu’est-ce qui empêche les élus, au lieu de réclamer du pouvoir législatif supplémentaire, de proposer la solution au problème et de faire modifier la loi par la représentation nationale?  

 

Nous avons les outils nécessaires pour faire évoluer, par nous même, les règles nécessaires afin de résoudre quelques problèmes récurrents. Mais encore faut-il que nous soyons suffisamment inventifs (ce qui est le contraire de la facilité) et audacieux pour mettre en marche ces outils qu’aucune collectivité n’a à ce jour véritablement utilisé.

 

Quels sont ces outils? Ce sont les pouvoirs d’initiative des assemblées locales des départements et régions d’outre-mer et du Département de Mayotte !

 

Les conseils généraux et les conseils régionaux d’outre-mer peuvent présenter des propositions de modification ou d’adaptation des dispositions législatives ou réglementaires en vigueur ainsi que toutes propositions relatives aux conditions du développement économique, social et culturel du département ou de la région ou du Département de Mayotte (articles L. 3444-2 et L. 4433-3 du CGCT).

 

Ils peuvent également faire au Premier ministre toutes remarques ou suggestions concernant le fonctionnement des services publics de l’État dans le département ou la région ou du Département de Mayotte (articles L. 3444-2 et L. 4433-3 du CGCT) et adresser au Gouvernement des propositions pour l’application des traités sur l’Union européenne ou sur le fonctionnement de l’Union européenne(articles L. 3444-3 et L.  4433-3-2 du CGCT).

 

Ces conseils peuvent adresser au Gouvernement des propositions en vue de la conclusion d’engagements internationaux concernant la coopération régionale entre la République et les États de la Caraïbe ou les États voisins de la Guyane ou les États de l’océan Indien ou d’accords avec des organismes régionaux des aires géographiques correspondantes, y compris des organismes régionaux dépendant des institutions spécialisées des Nations unies (articles L. 3441-2 et L. 4433-4-1 du CGCT).

 

De plus, en matière internationale :

 

dans les domaines de compétence de l’État, le président du conseil général ou la président du conseil régional peut recevoir un pouvoir de l’État pour négocier et signer des accords avec les États et territoires mentionnés ci-dessus ; il peut être associé à la délégation française ; il peut être chargé de représenter la République au sein de ces organismes régionaux (articles L. 3441-3 et L. 4433-4-2 du CGCT) ;

 

dans les domaines de compétence du département ou de la région, le conseil général ou le conseil régional peut demander à l’État d’autoriser leur président à négocier des accords internationaux avec les États et territoires précédemment mentionnés. L’État peut également donner pouvoir au président du conseil général ou au président du conseil régional pour signer ces accords (articles L. 3441-4 et L. 4433-4-3 du CGCT) ;

 

dans les domaines de compétences respectifs de l’État et du département ou de la région, le président du conseil général ou le président du conseil régional peut participer, au sein de la délégation française, aux négociations de cet accord (articles L. 3441-5 et L. 4433-4-4 du CGCT).

 

les conseils généraux et les conseils régionaux peuvent saisir le Gouvernement de toute proposition tendant à l’adhésion de la France à ces mêmes organismes régionaux (articles L. 3441-6 et L. 4433-4-5 du CGCT).

 

Les conseils généraux et les conseils régionaux peuvent avoir recours à des sociétés d’économie mixte pour la mise en œuvre des actions engagées dans le cadre des compétences qui leur sont dévolues en matière de coopération régionale (articles L. 3441-7 et L. 4433-4-8 du CGCT). Les conseils régionaux peuvent, en outre, créer des sociétés d’économie mixte ayant pour objet le transport aérien ou maritime (article L. 4433-21 du CGCT).

 

Des consultations facultatives peuvent également être prévues par des textes particuliers. À titre d’exemple, l’article 3 du décret n° 60-406 du 26 avril 1960 dispose que « les chambres de commerce et les chambres d’agriculture des départements d’outre-mer pourront être appelées, par les soins du ministre chargé des départements d’outre-mer, à donner leur avis sur les projets de loi et dispositions réglementaires d’adaptation concernant les questions relevant de leur compétence ».

 

Les conseils régionaux peuvent par ailleurs être saisis pour avis de tous projets d’accords concernant la coopération régionale en matière économique, sociale, technique, scientifique, culturelle, de sécurité civile ou d’environnement entre la République française et :

 les États de la mer Caraïbe ou les États voisins de la Guyane pour la Guadeloupe, la Guyane et la Martinique ;

 les États de l’océan Indien pour le conseil régional de La Réunion et le conseil général de Mayotte (article L. 4433-4 du CGCT).

 

Un référendum sera indispensable pour cette « Autonomie » !

 

Qu’avons nous déjà produit dans le cadre de nos prérogatives depuis 1988 et depuis 2005 ? Pas grand chose, pour ne pas dire rien. Je ne pense pas que nous devrions oser, sans avoir assumé nos possibilités, réclamer des pouvoirs supplémentaires pour soi disant l’intérêt supérieur du pays. Je respecte toutes les revendications, mais permettez-moi d’exprimer ma liberté et ma conviction d’élu départementaliste.

 

Le statut départemental ne deviendra obsolète que lorsque nous aurons épuisé toutes les possibilités que ce statut qui s’offrent déjà à nous ! Et parce que je crois fermement au pouvoir du peuple, par le peuple et pour le peuple, une telle évolution ne pourra se faire dans le secret des négociations dans les cabinets ministériels : je crois aux vertus de la décision du peuple.

 

Ainsi, je propose aux élus qui souhaitent aller dans le sens de l’autonomie des collectivités locales, outre de lire le superbe « Essai sur la liberté du pouvoir normatif local » de Marc Joyau (Maitre des conférences à l’Université de Nantes), d’argumenter leurs projets et de les soumettre au peuple. Bien entendu, il se trouvera des petits comme moi, engoncé dans ses convictions, qui mèneront un combat pour le non à l’Autonomie; mais le dernier mot reviendra au peuple et sa décision s’imposera à tous ! Mais nous aurons au moins eu le mérite de bénéficier d’un vrai débat…

 

Intégrer vraiment l’acte III de la décentralisation

 

En début avril, aura lieu encore une fois au Sénat un colloque sur les bases du futur projet de loi sur l’amélioration de la Décentralisation. Il serait plus judicieux que les élus locaux qui auront l’honneur d’y participer puissent faire des propositions intéressantes, voire iconoclastes, permettant à notre département de modifier quelques structures et pratiques. Mais ces propositions ne peuvent avoir de force probantes, tant pour les intervenants que pour les parlementaires qui interviendront dans les assemblées, si et si seulement si les assemblées locales délibèrent  au préalable.

 

Il y a trois orientations qui, aujourd’hui, peuvent l’objet d’une large majorité, si ce n’est d’une unanimité : le découpage des communes, la mise en cohérence des compétences dans une région monodépartementale et la gestion des emplois aidés.

 

Le découpage des communes. Il est clair que le découpage des circonscriptions législatives a permis de visualiser la gestion territoriale autrement avec l’émergence d’une certaine influence territoriale échappant aux majorités municipales. Ainsi, il ne serait pas incongru de dire que certains cantons, qui ont été « retirés » de leur commune dans le cadre des élections législatives, peuvent devenir (seuls ou regroupés) des communes à part entière. Pourquoi n’aurions-nous pas des communes Chaudron/la Bretagne, Saint-Gilles/la Saline, Saint-Louis, La Rivière, Cambuston? Et pourquoi ne rajouterions-nous pas des communes comme Grand-Bois/Montvert, Sainte-Anne, la Plaine des Cafres ou Le Piton? Ces communes supplémentaires ne coûteraient rien de plus à l’Etat, et ne déséquilibreraient pas le schéma de coopération intercommunale en les obligeant à rester dans les EPCI actuels. Et cette orientation aurait surtout l’avantage de concerner toute l’île, et non pas seulement une seule commune isolée qui est Saint-Louis à qui il faut reconnaître le statut de précurseur.

 

La clarification des compétences. Il est clair que le Conseil Régional et le Conseil Général se doivent de sortir de ce statu quo qui freinent les actions par absence de visibilité claire, et par un trop plein de financements croisés. Cela peut se faire sans toucher aux prérogatives des communes ou des EPCI. Ainsi :

– les grands secteurs de l’aménagement du territoire seraient de la compétence exclusive de la Région (aménagement et aides économiques, transports publics de voyageurs et de marchandises, recherche, numérique, eau, agriculture, tourisme, aides aux EPCI sur les infrastructures portuaires et aéroportuaires…)

– les grands secteurs touchant au développement humain et au cadre de vie seraient de la compétence exclusive du Département (éducation, mobilité, social, culture, santé, gestion des déchets, espaces naturels sensibles et forêts…)

– les Chambres Consulaires et l’Université seraient compétentes en matière de formation professionnelle, permettant de mettre en adéquation les besoins de formation et la demande des entreprises, ainsi que la qualification des formations.

 

La gestion des emplois aidés. Tout un chacun souhaite sortir de la dictature de la pression des emplois aidés sur la gestion quotidienne. Casser ce sentiment que les collectivités sont les seules à recruter est une nécessité que chacun croit réussir en faisant semblant de confier le recrutement à Pôle emploi. La vraie rupture c’est :

– confier la gestion des emplois aidés à l’Etat seul, à travers Pôle emploi

– exclure les collectivités locales, ainsi que leurs établissements publics administratifs, de la liste des recruteurs et utilisateurs d’emplois aidés

– flécher les emplois aidés, quels qu’ils soient, vers le secteur privé marchand pour 2/3 et vers le secteur associatif ou parapublic (grands offices de tourisme, ONF, établissement public local d’enseignement) pour le 1/3 restant.

 

En conclusion, nul doute que de vraies évolutions structurelles sont nécessaires. Celles que je propose, qui ne sont point exhaustives et en appellent d’autres au niveau de l’action économique pure, seraient de nature à bouleverser nos pratiques. Il nous appartient donc, à nous acteurs locaux, de démontrer nos capacités de création et d’innovation autrement qu’en nous enfermant dans de stériles débats institutionnels.

 

 

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