Lu sur mediapart, un article passionnant de Laurent Mauduit : le pacte que Sarkozy a passé contre le SMIC

 

   Je vous livre ici de larges extraits de cet article (avec l’aimable autorisation de l’auteur).

 

« Décrivant, dans son Histoire de la révolution française, la misère qui sévit dans les campagnes à la veille de 1789, Jules Michelet défend l’idée que les mauvaises récoltes, et la famine qui en découle, ne constituent en aucune façon «un phénomène naturel».

 «Ce n’est ni la pluie, ni la grêle. C’est un fait d’ordre civil : on a faim de par le Roi», écrit-il.

 

Et il ajoute : «La famine est alors une science, un art compliqué d’administration, de commerce.

Elle a son père et sa mère, le fisc, l’accaparement.

Elle engendre une race à part, race bâtarde de fournisseurs, banquiers, financiers, fermiers généraux, intendants, conseillers, ministres.

Un mot profond sur l’alliance des spéculateurs et des politiques sortit des entrailles du peuple : Pacte de famine.»

  

Dans un tout autre contexte historique, deux cent vingt ans plus tard, c’est un raisonnement voisin que l’on pourrait être enclin de tenir pour décrire la situation des salariés les plus modestes, et notamment ceux qui sont payés au Smic.

 

Car loin de découler de lois «naturelles» de l’économie, ou des seuls effets d’une crise économique historique, les très faibles rémunérations qui gagnent du terrain en France résultent à l’évidence d’un «pacte », «d’une science, un art compliqué d’administration».

 

Sinon un pacte de famine, en tout cas un pacte de misère.

  

C’est un paradoxe révoltant qui résume sans doute jusqu’à la caricature le quinquennat de Nicolas Sarkozy.  

 

Rarement les plus grandes fortunes françaises n’ont été autant avantagées –au point que le chef de l’État s’est vu attribué le quolibet mérité de «président des riches».

 

Mais rarement aussi les plus modestes n’ont été à ce point maltraités.

 

Et s’il en fallait une nouvelle preuve, le gouvernement vient de l’administrer sans la moindre vergogne, en annonçant qu’il ne donnerait aucun «coup de pouce» au Smic et que celui-ci ne profiterait donc le 1er janvier2011 que de l’indexation minimale prévue par la loi.

 

Et ceci pour la cinquième année de suite.

Ce qui, de mémoire d’experts, est sans précédent.

 

Il s’agit donc d’une très grave injustice, mais aussi d’une erreur économique en ces temps de crise historique.

 

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1 – De combien le SMIC progressera-t-il le 1er janvier 2011 ?

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La loi prévoit une revalorisation automatique équivalente au montant de l’inflation et à la moitié du pouvoir d’achat du salaire horaire brut ouvrier.

En conséquence de cette obligation légale, le salaire minimum interprofessionnel de croissance (SMIC), sera relevé de 1,6%.

 

Il passera donc de 8,86 euros à 9 euros de l’heure à compter du 1er janvier 2011. 

En clair, en pleine période de marasme économique et de fortes menaces sur le pouvoir d’achat, le gouvernement a octroyé aux smicards une hausse de seulement 18 euros nets par mois.

 

L’aumône ! Même pas de quoi acheter une baguette de pain par jour…

 

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2 – Nicolas Sarkozy conduit-il une politique plus antisociale que ses prédécesseurs ?

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La réponse ne souffre aucune contestation : oui, sans aucun doute.

Car depuis des lustres, tous les gouvernements ont pris l’habitude de faire un geste, parfois seulement symbolique, parfois un peu plus généreux en faveur du Smic.

 

Mais à partir du 1er juillet 2007, c’est-à-dire au lendemain de l’élection de Nicolas Sarkozy, la politique suivie est d’une parfaite lisibilité : c’est la première fois que tout «coup de pouce» est écarté pour longtemps.

Aucun en 2007, en 2008, en 2009, et en 2010. CQFD !

 

Avec le choix qui a été fait pour 2011 de ne toujours pas aller au-delà de l’obligation légale, c’est donc bien la cinquième année de suite que le gouvernement affiche son mépris pour les plus basses rémunérations.

 

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3 – Pourquoi les experts recommandent-ils une faible revalorisation du smic ?

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Des pages durant, ces experts s’attardent sur les filets sociaux de sécurité mis en place en France tout au long des années 2000, notamment la Prime pour l’emploi (PPE) créée en 2001, et le Revenu de solidarité active (RSA), créé en juin 2009.

 

Et le rapport s’attarde longuement sur le fait que cette politique de transferts financés sur fonds publics est le premier facteur qui explique la progression du pouvoir d’achat des salariés rémunérés au voisinage du Smic.


Conclusion logique de ce rapport d’inspiration ultra-libérale : que l’État fasse office de voiture-balai ; mais que les entreprises ne soient pas trop sollicitées au travers des hausses du Smic.

 

Ces experts se gardent de s’interroger sur la pertinence de la politique économique suivie par Nicolas Sarkozy.

 

Tout comme ils se gardent de relever l’indécence qu’il y a à recommander la rigueur pour les petits salaires, alors que les bonus pour les traders ou les stock-options pour les patrons du CAC 40 continuent de flamber,même à un degré d’intensité à peine diminué.

 

Sinistres experts qui font mine d’administrer leur science, alors qu’ils ont pour seule mission de défendre des privilèges.

 

Intendants d’un régime dont l’égoïsme social est le premier ressort, eux aussi jouent leur rôle dans ce pacte dont Michelet a si bien décrit les mécanismes.

 

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4 – À quoi sert le SMIC ?

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Il suffit de se référer à l’enquête Revenus fiscaux et sociaux en 2007 de l’INSEE (avec la DGFiP, Cnaf, Cnav, CCMSA) pour la France métropolitaine.

 

Sur plus de 23,5 millions de salariés, 2,7 millions d’entre eux (soit 11,5%) disposaient de très bas revenus, inférieur ou égal à 0,6 Smic, compte tenu de période d’inactivité ou des emplois occupés à temps partiel.

 

Et près de 2,5 millions de salariés (10,6%) disposaient pour les mêmes raisons d’un revenu salarial annuel compris entre 0,6 à 1 Smic.

 

En clair, plus de 20% des salariés français gagnent moins que le Smic ou tout juste le Smic. 

Et plus de 56% des salariés Français ont un revenu égal ou inférieur à 1,6 fois le Smic.

 

C’est donc une explosion du marché du travail, sous les effets d’une violente déréglementation qui s’est poursuivie tout au long des trois dernières décennies.

 

Emplois précaires, emplois intérimaires, emplois à temps partiels... de plus en plus souvent, le travail ne protège plus de la pauvreté.

 

Et le Smic n’a plus les effets qu’il avait autrefois, du temps où le contrat à durée indéterminée était la règle dominante du marché du travail.

 

Sous les avancées du capitalisme anglo-saxon auquel la France s’est progressivement convertie, une nouvelle catégorie de travailleurs est apparue: les working poors (les travailleurs pauvres).

C’est dire a contrario les effets protecteurs du salaire minimum.

 

Car s’il protège de plus en plus mal des salariés soumis à une flexibilité et une précarité croissante, c’est assurément une raison de plus qui plaide pour de franches revalorisations.

Alors, à défaut de supprimer le SMIC – ce qui serait sans doute politiquement très risqué- une coalition s’est formée pour le geler, si l’on peut dire.

 

Une coalition ou si l’on préfère un pacte.

 

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5 – Le smic protège-t-il de la pauvreté ?

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L’aspect le plus révoltant de la situation présente, c’est que le Smic, et avant lui son ancêtre le Smig, créé en 1950, avait pour objectif, dans l’esprit de leurs concepteurs, de protéger ceux qui en bénéficient de la pauvreté.

Pendant les Trente Glorieuses, il était en quelque sorte, un bouclier social pour les travailleurs les moins bien payés.

 

Or, depuis plus de deux décennies, le Smic ne fait plus qu’imparfaitement son office.

 

D’abord, au lendemain des deux chocs pétroliers, le chômage a pris des proportions considérables, englobant de 2,6 à 4,3 millions de personnes, selon le mode de calcul retenu.


En 2008 la moitié des Français vivait avec moins de 1.580 euros par mois.

 

Ce chiffre fonctionne comme un réquisitoire : le gouvernement refuse de donner un «coup de pouce» au Smic

alors que 20% des salariés gagnent moins que le salaire qu’il est censé garantir et

alors que 50% des Français ont un revenu égal ou inférieur à 1,5 Smic.

 

Dans ces chiffres transparaissent donc de très nombreuses souffrances sociales que le gouvernement refuse d’entendre.

L’autisme du gouvernement transparaît d’un autre chiffre officiel: depuis 2002, la pauvreté ne cesse en France à nouveau de gagner du terrain.


L’institut INSEE relève ainsi que le taux de pauvreté (soit des revenus inférieurs à 60% du revenu médian) est en France de 13,4% en 2007, ce qui correspond à 8,034 millions de personnes.

 

Si l’on prend les chiffres sur une plus longue période, on constate que

le nombre des personnes pauvres a très fortement baissé de 1996 (7,6 millions de personnes) à 2002 (6,9 millions),

avant de repartir très fortement à la hausse pour dépasser, donc, en 2007, la barre des 8 millions.

 

Et il est très probable, même si on ne dispose pas encore des chiffres, que la tendance s’est encore creusée avec l’irruption d’une crise économique majeure, qui a fait spectaculairement gonfler le chômage et donc l’exclusion et la pauvreté.


Résumons :

de 2,6 à 4,3 millions de chômeurs selon le mode de calcul ;

plus de 8 millions de pauvres ;

50% des Français dont le revenu mensuel est inférieur à 1.580 euros par mois…

 

et malgré tout, pendant cinq ans de suite, le gouvernement refuse de faire un geste en faveur du Smic, même symbolique.

On en vient bel et bien à penser que la forte phrase de Jules Michelet prend de nouveau une forte résonance sous la présidence de Nicolas Sarkozy :

 

«Un mot profond sur l’alliance des spéculateurs et des politiques sortit des entrailles du peuple : Pacte de famine».

 

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6 – Pourquoi faut-il relever le SMIC ?

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La faiblesse des rémunérations françaises constitue la première réponse.

Mais, il y en une seconde : au-delà de la justification sociale, une relance du Smic serait opportune pour des raisons économiques.

 

Tout au long de la crise, le gouvernement a en effet multiplié les plans d’aide en faveur des entreprises (banques, automobiles, taxe professionnelle, etc) mais n’a rien fait ou presque pour les ménages.

En quelque sorte, face à la crise, le gouvernement a fait le choix d’un «ajustement social».

 

Envolée du chômage, tassement des rémunérations : les salariés ont été les premiers à supporter le poids de la crise.

 

Et du même coup, la consommation des ménages est en train de s’effondrer du fait d’un pouvoir d’achat en berne sinon même en baisse.

 

«En 2010, écrit ainsi l’Insee, le pouvoir d’achat par unité de consommation augmenterait au même rythme qu’en 2009 (+0,8%).

Par habitant, la hausse serait de +0,4% tandis que le pouvoir d’achat par ménage baisserait de 0,4%.».

 

En quelque sorte, la politique d’austérité du gouvernement, dont le Smic est une illustration, tend à anémier l’économie et à étouffer la timide reprise.

 

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7 – Faut-il réinventer un nouveau pacte social ?

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Le délabrement dans lequel se trouve aujourd’hui le salaire minimum, qui ne protègent qu’imparfaitement ceux qui en profitent, n’est qu’une facette de l’éclatement du pacte social qui a fonctionné tout au long des Trente Glorieuses et qui a ensuite volé en éclats.

 

Longtemps en effet, les écarts de rémunérations entre les très hauts salaires et les très bas étaient contenus.

 

C’était le résultat d’un pacte social implicite : les très hauts salaires acceptaient en quelque sorte de ne pas s’envoler toujours plus; en contrepartie, les bas salaires n’étaient pas sans cesse aspirés… plus bas.

 

Ainsi le voulait le capitalisme rhénan, qui tolérait un partage, selon les rapports de force, entre le capital et le travail.


Les règles du capitalismes anglo-saxon sont venues tout bouleverser : ignorant ce partage, elles ont favorisé une envolée des rémunérations des cadres dirigeants et, du même coup, les grands groupes ont jugé intolérable les protections sociales dont bénéficiaient les travailleurs les plus modestes.

 

On peut dire les choses de manière encore plus directe : les folles rémunérations des cadres dirigeants des entreprises ont généré, par un choc en retour, le développement des « travailleurs pauvres » dans le bas des hiérarchies de ces mêmes entreprises.


Indéniablement, il faut donc défendre le Smic.

Mais au-delà, c’est assurément, tout le pacte social qu’il faut reconstruire.

 

Le débat est d’ailleurs dès à présent lancé, car de nombreuses voix à gauche ont commencé à faire valoir qu’il fallait aussi explorer l’idée d’un «salaire maximum», pour contenir les dérives invraisemblables auxquelles se sont laissés aller notamment les patrons du CAC 40.

 

L’idée du «salaire maximum» n’est certes qu’une image.

 

Car, il existe bien d’autres moyens pour rétablir une société plus équitable que d’interdire des rémunérations au-delà d’un certain seuil, jugé exorbitant.

 

Il existe en particulier l’impôt sur le revenu, dont la progressivité a été cassée au fil des ans, par une réduction progressive de 15 à 5 des tranches d’imposition.

 

La fonction redistributrice de l’impôt sur le revenu, impôt-citoyen par excellence, pourrait donc être réhabilitée.

 

Avec d’autres, Jean-Luc Mélenchon (Parti de gauche) lâche ainsi qu’au-dessus de 350.000 euros annuels, il «prend tout».

Le ton est volontairement gouailleur, comme l’est le personnage. Et les modalités évoquées discutables.

 

Mais le débat est de première importance : au-delà du Smic, ce sont les règles de partage entre le capital et le travail qu’il faut redessiner.

 

Pour sortir de ce pacte de misère, et un inventer un autre : un pacte plus généreux, un pacte solidaire. »


Mon commentaire : et dire que ce soir, Nicolas Sarkozy, lors des traditionnels voeux du Chef de l’Etat, avec des trémolos dans la voix, va dire à ces smicards, et à ceux qui gagnent moins que ces smicards, qu’il leur faut garder confiance, et bla bla bla, et bla bla bla..

 

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1 Commentaire sur

Lu sur mediapart, un article passionnant de Laurent Mauduit : le pacte que Sarkozy a passé contre le SMIC

  • Jean-JacquesNo Gravatar |

    que l’année 2011 soit une année de lutte, de prise de conscience, de rebellion, de désobéissance, de combat
    que cette nouvelle année soit celle d’une vraie justice sociale. d’une réelle égalité
    une première étape vers un juste rééquilibrage de la vie: mars 2011, et après, on continuera pour que les projets sarkoziens soient stoppés net

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