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2013
Du 29 juillet au 31 août : rétrospective – Février 2012 (2) : étranger à La Réunion pour mieux être Réunionnais quelque part !
Catégorie : RETROSPECTIVEJe serai absent pour les jours qui viennent. C’est l’occasion de vous faire partager une rétrospective de mes articles depuis deux ans. Et les informations contenues dans ces papiers ont toujours une part d’actualité. J’entends par là qu’il est intéressant de voir combien la citation de Blaise Pascal « Vérité en deçà des Pyrénées, erreur au delà » est juste.
Ainsi par exemple, la vérité sur un fait, l’indignation devant une injustice, la revendication devant un traitement inapproprié , peuvent être fortes… ou faibles voire inexistantes, selon que l’on est dans l’opposition ou au pouvoir.
Cela dit, celles et ceux qui dans ces articles sont sujets à des critiques peuvent avoir parfois montré leurs aptitudes à se remettre en cause. Comme quoi personne n’est parfait.
Enfin, j’arrête là et vous souhaite bonne lecture !
8 février 2012 – Culture – Identité – Lettre d’un zenfan batard à Claude Guéant ou lettre d’un étranger à La Réunion pour mieux être Réunionnais quelque part !
Lettre inspirée par le texte de Serge Raffy (Le Nouvel Obs)
Je vous écris du fin fond de la savane, à deux longueurs des hautes montagnes, depuis un minuscule territoire insulaire, quelque part en dessous de Madagascar, à quelques longues encablures de l’Australie.
Mon nom ne vous dirait rien, car je ne suis qu’un tout petit moustique, pour quelqu’un de votre dimension, mais néanmoins, permettez-moi de signer d’un pseudonyme.
Je fais partie d’un clan d’indigènes aux origines multiples.
Certains d’entre nous sont noirs.
D’autres sont jaunes.
D’autres blancs.
D’autres rouges.
Nous ne sommes pas tous semblables, nous ne nous ressemblons pas.
Mais pourtant, nous vivons ensemble.
Et parfois, même si l’on ne se ressemble pas, nous sommes frères.
Voilà une de nos spécificités.
Monsieur Guéant, nous ne venons pas d’une planète encore inconnue : nous sommes seulement les fruits de notre histoire.
Nous vivons comme nous le pouvons : dans des maisons en tôle ou des cubes de béton, des écrins de verdure ou dans la rue.
Nous subsistons entre vents et marées, cyclones et inondations.
Sans doute l’ignorez-vous, mais notre civilisation est menacée d’extinction.
La logique artificielle voudrait nous voir sombrer dans les abymes de l’uniformisation et de l’assimilation.
Nous allons mourir bientôt culturellement et cultuellement.
Notre manque de civilisation est tel que personne ne pourra nous aider.
D’ailleurs, notre civilisation est trop ténue pour résister aux coups de boutoir donnés.
Ô, Grand Bwana !
La nuit dernière, à la suite d’un violent orage, les vestales du volcan, par l’intermédiaire d’un paille-en-queue au plumage de lune, se sont adressées à moi et m’ont intimé l’ordre de vous écrire.
Elles m’ont dit :
« Toi petit homme, venu de partout, donc de nulle part, tu dois t’ouvrir au monde, à la grande civilisation qui règne sur la planète quand tu sautes la mer.
Là-bas, un bwana aux yeux couleur de lune, porteur de toutes les vérités suprêmes te donnera la clé… Le sésame de la Grande Porte, celle des Lumières… ».
Je n’ai pas tout compris du message venu des entrailles de la terre.
Mais grâce au vol des papangues au-dessus de l’immense bâtisse de votre valet, au Barachois à Saint-Denis, j’ai pu comprendre quelques unes de vos aspirations.
Ces vestales me parlaient d’un drôle d’oiseau, le CAC 40 ; elles évoquaient aussi de grands champs nommés Elysées ou Mars ; d’un palais pour votre roi ; d’une pyramide pour vos visiteurs ; d’engins bruyants et nauséabonds avec lesquels vous vous déplacez et dans lesquels vous mettez un liquide plus cher que l’or.
Ces vestales m’ont expliqué, Grand Bwana, que vous étiez toujours pressés, qu’il fallait toujours plus travailler pour gagner quelques mangues et ananas en plus.
Elles m’ont dit que vous ne laviez pas votre linge sale en famille, mais que vous le faisiez devant tout le monde, et tout particulièrement devant des femmes et des hommes munis de drôles d’appareils envoyant de la lumière ou d’autres mettant votre aura en boîte et votre voix en prison.
J’en conviens, Grand Bwana, vous vivez dans un domaine magique, puisque vous pouvez capturer l’immatériel.
Vous parlez de chez vous et des milliers d’hommes et de femmes – que vous ne connaissez pas – vous écoutent, à des distances telles qu’il faudrait plusieurs lunes pour les franchir.
Grand Bwana, comment moi, simple humain, dont les semblables marchent sur le feu, dansent avec les dragons, prient trois fois par jour, s’entassent tout au long d’une corniche, pour une bi transhumance quotidienne, comment nous, pouvons oser penser – que dis-je, imaginer de commencer à penser – arriver seulement à votre cheville ?
Comment pourrions-nous avoir la prétention de croire que les millénaires d’histoire vécus par nos ancêtres peuvent être comparables aux quelques siècles de votre histoire ?
Comment pourrions-nous espérer que nos tisanes et notre médecine puissent guérir des maladies, alors que vos médicaments, si chers et si bien empaquetés, n’y arrivent pas, et que parfois, même, ils tuent ?
Je ne suis qu’un homme simple, sorte de tapis mendiant culturel, avec des ancêtres lointains venant d’Afrique et de Madagascar, un grand-père maternel qui a débarqué de Calcutta, un grand-père paternel arrivé tout droit de Canton, une mère née à Mayotte et un père qui a longtemps vécu dans cette ville, aussi grande que mon île et que l’on appelle Paris.
Comment moi, avec tout ce passé, puis-je oser espérer appartenir un jour à votre tribu ?
Faut-il que je demande que nos lieux de culte soient équipés d’orgues ?
Faut-il que j’exige que l’on supprime certaines fêtes tellement importantes pour nous, comme le 20 décembre ?
Faut-il que j’arrête de danser le maloya pour apprendre la valse ?
Dois-je arrêter de me nourrir de rougail saucisses et opter pour le steak – frites – salades ?
Dois-je remplacer mon ventilateur par du chauffage ?
Dois-je oublier ma langue maternelle pour apprendre ces drôles de mots que vous utilisez dans les appareils gros comme une mangue josé, qui vibrent et sonnent pour vous dire que quelqu’un à l’autre bout du monde pense à vous ?
Je vous le demande humblement : Je sais bien qu’il me manque quelque chose, ou plein de choses et que le bruit des cascades au petit jour, au lendemain d’une pluie diluvienne, laquelle, d’ailleurs m’interdit d’aller voir ma famille dans la vallée d’à côté, ne remplacera jamais le bruit que vous faites, en l’air sur un plateau, avec des lumières de feu, d’eau, de verdure.
Oui, il me manque ce formidable bruit que les jeunes aiment entendre dans leurs oreilles, enfermés dans des boîtes aussi petites que celles de la sardine Robert.
Comment venir vous rejoindre ?
Faut-il prendre ces grands oiseaux volants, que l’on paye avec un bout de papier à retirer dans ce qui nous sert de pyramide inversée ?
Je veux, plus que tout, être dans votre civilisation.
Car, Bwana, vous l’avez si bien dit : vous êtes civilisés et nous ne le sommes pas.
J’ai bien conscience que fréquentant la boutique chinoise ou le camion bar, je ne peux venir au Fouquet’s : il n’y a pas de dodo, ni de vrais bouchons, et ce sont là des preuves que ma culture ne peut être égale à la vôtre, vous qui avez des cacahuètes dégraissées et sans sel.
Je pourrais prendre le bateau, mais ma mère ne le souhaite pas : trop de gens de sa tribu ont voulu aller voir ailleurs et ne sont jamais arrivés au bout de leur voyage.
Des centaines d’indigènes que l’on a jamais retrouvés ; vous voyez bien, Bwana, que l’on peut gérer nos flux migratoires par nous mêmes, sans que vous soyez inquiété et que vous n’ayez à intervenir.
Pour ça, Bwana, je continue à vous faire confiance : vous continuerez à expliquer que l’on ne peut pas tout avoir, et qu’il faut faire un tri entre les gens : d’un côté, ceux qui peuvent vivre dans des maisons et aller à l’hôpital, et de l’autre, ceux qui vivront dans leurs paillotes et verront le grand marabout pour guérir leur cancer.
Vous voyez, je commence à faire des efforts pour comprendre votre manière de penser : je me fais violence, moi dont les aïeux ont toujours été pris en charge par les enfants, et pour qui ne pas donner à des miséreux était sinon un péché mais pour le moins quelque chose d’inconcevable, selon notre modeste échelle de valeurs.
Vous qui avez atteint le stade suprême du développement, quels conseils pouvez-vous me prodiguer ?
De rester chez moi et de rester bien accroché à mon bananier ?
Ou de venir apprendre chez vous tout ce que vous savez ?
Le tangue vient de me donner la réponse en m’aiguillant sur les bichiques : ils lèvent pour se faire manger.
Je viens de comprendre le message : jamais, au grand jamais, je ne pourrais atteindre la grandeur de votre civilisation.
Alors, Grand Bwana, mon cœur se serre désespérément : jamais je ne pourrais, dans ma courte vie, avoir le temps d’acquérir tout le savoir que vous maîtrisez, jamais je n’aurais la possibilité de discourir comme vous le faîtes, sur le bien être des autres et sur les nécessités d’aider les plus riches.
Je suis malheureux au plus profond de mon être, mes enfants, les enfants de mes enfants ne pourront non plus, eux, intégrer la société et la civilisation suprêmes dont vous êtes le défenseur ardent.
Grand Bwana, merci de m’avoir ouvert les yeux sur la réalité du monde.
Ti zenfan Phaonce, heu, : petit enfant de Phaonce (pardon Monsieur Guéant … si vous avez un temps dans votre emploi du temps chargé, cherchez qui était Phaonce)
Cette lettre a été inspirée par celle écrite par Serge Raffy, du Nouvel observatoire. La lettre originale est consultable à cette adresse