Le gouvernement se fait étriller par le procureur général de la cour de cassation

 

C’était son dernier discours après six ans à la tête du parquet général à la Cour de cassation et quarante-quatre ans de vie judiciaire,

et Jean-Louis Nadal, l’un des plus haut magistrats de France, a vendredi 7 janvier, sonné la charge avant que sonne la retraite.

 

Le procureur général de la Cour de cassation a, sans les nommer,

étrillé Brice Hortefeux, le ministre de l’intérieur,

mis en garde le président de la République,

botté le train du Conseil supérieur de la magistrature qui termine péniblement son mandat, et

réclamé, une nouvelle fois, une réforme du statut du parquet.


Jean-Louis Nadal est un habitué, et tout le gratin de la magistrature attend avec délice qu’il dise tout haut ce que tous pensent tout bas lors des très solennelles audiences de rentrée de la Cour.

 

Au premier rang, Jean-Paul Costa, le président de la Cour européenne des droits de l’homme, Jean-Marc Sauvé, vice-président du Conseil d’Etat et Robert Badinter s’efforcent de ne pas sourire ;

 

et rien ne semble pouvoir altérer la bonne humeur de Michel Mercier, le ministre de la justice, qui a pris la volée de bois vert au nom du gouvernement, en l’absence du chef de l’Etat, en déplacement aux Antilles.


UNE FORME DE MÉPRIS POUR LA JUSTICE


« De tous temps, la justice a été brocardée, a attaqué Jean-Louis Nadal, et aujourd’hui à un magistrat qui ne supporterait pas la critique, je serais plutôt tenté de conseiller de changer de métier. »

 

Mais « le phénomène ne laisse pas d’inquiéter quand, à cette institution fondamentale de la République et de la démocratie, les coups sont portés par ceux qui sont précisément en charge de la faire respecter ».

 

Jean-Louis Nadal vise directement Brice Hortefeux et Nicolas Sarkozy.

 

« Afficher pour la justice une forme de mépris, inspirer à l’opinion des sentiments bas en instillant, de manière en réalité extravagante,

la confusion entre la responsabilité du criminel et celle du juge dont on dénigre la décision,

inscrire au débit des cours et tribunaux l’altération du lien social compromis pour une multitude de raisons qui leur sont étrangères,

tout cela avilit l’institution et, en définitive, blesse la République », a insisté le procureur général.


« Où sont les repères quand celui qui rappelle que l’accusé a des droits encourt le reproche d’avoir choisi le camp des assassins contre les victimes ?

 

Où sont-ils quand est niée la présomption d’innocence, principe pourtant fondateur de tout dispositif pénal ? »

 

La police judiciaire, dit la loi républicaine, est dirigée par des magistrats.

 

« Mais au nom de quoi, par quelles dérives, certains de ses représentants se permettent-ils alors d’en appeler à l’opinion contre ces mêmes magistrats quand ils prennent une décision qui leur déplaît ? 

 

Et le scandale n’est-il pas encore plus grand quand ces protestations politico-corporatistes sont relayées au plus haut niveau, au mépris du fondamental principe de séparation des pouvoirs ? »

 

Jean-Louis Nadal reconnaît qu’il y a chez les magistrats des « dérives rares, mais aux effets dévastateurs » et en appelle d’abord « aux mérites du professionnalisme » en donnant indirectement un coup de pied aux jurés populaires, l’idée fixe du président de la République.

 

« Juger, c’est un métier, métier auquel il est indispensable de se former.

 

C’est pourquoi j’ai la conviction qu’à la base de toute activité juridictionnelle, doit impérativement se trouver une solide formation juridique et judiciaire ».


L’INDISPENSABLE RÉFORME DU PARQUET


Reste un problème de fond, le statut du parquet.

 

La Cour de cassation a suivie le 15 décembre 2010  la Cour européenne des droits de l’homme et le ministère public n’est plus « une autorité judiciaire »

<http://libertes.blog.lemonde.fr/2010/12/16/le-role-du-parquet-le-dossier-de-la-cour-de-cassation/> .

 

« Si cette décision devait trouver sa traduction en langage médical, a résumé le procureur général, il faudrait dire que le parquet est maintenant proche d’un état de coma dépassé ».

 

Jean-Louis Nadal rappelle qu’il a maintes fois tiré la sonnette d’alarme, « je le redis avec force, à titre en quelque sorte testamentaire: le statut du ministère public français doit être profondément revisité ».


« Il ne s’agit pas d’encourager la sécession en proclamant sa totale indépendance », mais il faut « extraire le venin de la suspicion » en obtenant « de plus grandes garanties de neutralité et un surcroît d’indépendance » :

 

« la seule solution est de couper tout lien entre l’échelon politique et le parquet pour ce qui concerne les nominations« , aujourd’hui décidées par le gouvernement, après un simple avis du Conseil supérieur de la magistrature (CSM).

 

« Je ne peux en outre m’empêcher de regretter que le CSM n’ait pas su trouver les ressources qui lui auraient permis de remettre en cause certaines nominations, a dit sévèrement le procureur général, et qu’il ait ainsi manqué l’occasion de faire évoluer la nature de son contrôle.

 

Je ne peux que dire mon incompréhension quand j’ai vu surgir, sur des critères dont j’ignore la nature, des nominations qui posent question ».

 

Le haut magistrat a conclu en appelant à « une réelle séparation des pouvoirs » et « à l’avénement d’un pouvoir judiciaire  dont la contrepartie serait naturellement une responsabilité accrue ».


Et de citer malicieusement « l’un des pères fondateurs de notre République », Michel Debré : « la valeur de la justice et le respect dont ses décisions sont entourées attestent du degré de civilisation qu’un peuple a atteint ».

Source : http://libertes.blog.lemonde.fr/2011/01/08/le-gouvernement-se-fait-etriller-par-le-procureur-general-de-la-cour-de-cassation/

                                                                                                               

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1 Commentaire sur

Le gouvernement se fait étriller par le procureur général de la cour de cassation

  • IsisNo Gravatar |

    Ouaouh ! Ca décoiffe ! On n’a pas vraiment l’habitude d’entendre des hauts magistrats s’insurger comme ça contre les dérives du pouvoir politique sur le pouvoir judiciaire.

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